CAHIERS DU CENTENAIRE DE L'ALGÉRIE - LIVRET 2 - La pacification du Sahara (1852- 1930) Site http://aj.garcia.free.fr VII Le gouvernement général de M. Ch. Lutaud Le Sahara et la grande guerre En 1911, M. Charles Lutaud avait remplacé M. Jonnart comme Gouverneur général de l'Algérie. Cet homme de grand caractère, ce diplomate éclairé, prenait aussitôt les rênes du pays algérien avec une maîtrise qu'encourageait et soutenait l'amitié de M. Etienne, député d'Oran, et de M. Thomson, député de Constantine. Il voulait que l'œuvre de Lyautey et celle de Laperrine fussent continuées dans le même esprit de fermeté et de maintien des droits de la France, aussi bien vers l'Ouest, à Colomb-Béchar, qu'à l'Est vis-à-vis de la Tripolitaine dans laquelle l'Italie avait pénétré avec quelque brusquerie au lendemain de la déclaration de la guerre balkanique de 1912. Pour mieux marquer encore tout !'intérêt qu'il attachait à ces questions, il désira que deux de ses amis et plus fidèles collaborateurs fussent nommés au commandement du territoire d'Aïn-Sefra et de celui des Oasis. Le colonel Levé fut envoyé à Aïn-Sefra. Jeune commandant d'infanterie. je fus désigné pour remplacer, à In-Salah, le commandant Payn dont le séjour touchait à sa fin. Vers l'Ouest, depuis le départ du général Lyautey appelé, après avoir pris le commandement de la division d'Oran. à celui du XIIème Corps d'armée. qu'il devait bientôt abandonner pour être nommé résident général de France au Maroc, la situation politique et militaire était demeurée instable. Oulad Djerir et Doui-Ménia, laissés libres à l'Ouest de la ligne immédiate de nos postes, ne se faisaient pas faute d'accueillir, de renseigner et aussi sans doute de soutenir parfois d'un concours plus effectif les Beraber du Tafilalet. Le général Levé s'attacha à gagner les chefs de ces tribus, à les mettre plus complètement de notre côté. C'est de son temps que Kenadsa, Meridja et Abadla rentrèrent dans le rayon normal de notre action. Au territoire des Oasis, le combat d'Esseyen semblait avoir arrêté pour un temps les menaces des Senoussistes, le Hoggar était tranquille. Il paraissait seulement désirable de ce côté d'organiser au mieux la collaboration la plus cordiale entre troupes sahariennes de l'Algérie du côté du Nord, du Hoggar et du Soudan français du côté du Sud. D'ailleurs, les Italiens, par l'occupation de en 1913 et de Chat en août 1914, allaient introduire un élément nouveau dans le cycle de notre politique. mais il ne semblait pas que cet élément dut être nuisible, car l'Italie en était à la période du sourire et une collaboration toute amicale, sans autre réserve que celle obligatoire à tenir vis-à-vis de l'un des membres principaux de la Triplice, paraissait devoir s'instituer. En plusieurs voyages consécutifs, de novembre 1913 à juillet 1914, le nouveau commandant militaire des Oasis put prendre les contacts utiles avec les autorités italiennes et les camarades soudanais rencontrés à Tin-Zaouaten (commandant Cauvin). Bref, en juillet 1914, la situation politique et militaire paraissait tellement bien assise que, revenu pour la deuxième fois auprès du Père de Foucauld, nous commençâmes à parler d une question qui lui tenait bien à cœur celle de la pénétration saharienne par les moyens de la technique moderne. Créations de réseaux de T. S. F. Tracés de routes et pistes automobilisables permettant de relier facilement Alger aux points les plus extrêmes du Sahara algérien et même aux postes français du Niger et de Zinder. Je me souviendrai longtemps de cette longue soirée du 21 juillet que nous passâmes ensemble, sous une nuit calmement étoilée de l'été saharien, à dessiner pour l'avenir. J'avais vu en même temps Moussa Ag Amastane, dont j'avais pu apprécier et aimer la loyauté et la vaillance de sentiments. Je retournais vers le Nord, après un court repos passé sous les ombrages de Tazerouk, lorsque la nouvelle de la déclaration de guerre allemande vint m'atteindre le 25 août à Amguid, et retarder, d'un seul. coup, de plus de dix ans, la réalisation des beaux projets ébauchés. L'état de guerre ne paraissait pas, a priori, devoir influer sensiblement sur la situation politique du Sahara : nomades et sédentaires, bien protégés contre toutes agressions par des troupes de police de premier ordre, ne bougeraient certainement pas, s'ils étaient défendus de tout contact avec des éléments extérieurs. Au dehors, l'état d'anarchie complète où se trouvait le Sud marocain semblait devoir empêcher les dissidents de tenter quelque entreprise d'envergure. Le seul point noir existait - dans l'Est. La première question, angoissante au premier chef pour les territoires des Oasis, était celle de savoir si l'Italie maintiendrait l'attitude de neutralité amicale qu'elle avait adoptée tout d'abord. A tout hasard, il fallait surveiller de près son activité tout le long d'une frontière longue de plusieurs centaines de kilomètres et sur laquelle on savait que d'importants mouvements de troupes avaient lieu. Dès le 15 septembre, alors que l'entrée des Italiens à Ghat datait du 12 août, nous prenions contact avec les autorités italiennes et nous pouvions constater que tout était à la neutralité de ce côté. Mais quelques semaines ne s'étaient pas écoulées que déjà les éléments de la situation politique et militaire se trouvaient transformés. La pénétration des Italiens en Tripolitaine avait été trop rapide et les arrières de leurs colonnes, lancés à plus de 1.000 kilomètres au Sud de la côte, n'étaient pas suffisamment couverts. D'ailleurs la résistance depuis que les Turcs avaient cessé de la diriger, après le traité d'Ouchy, était passée aux mains des dirigeants senoussistes qui agissaient puissamment sur des milliers de fidèles adeptes... Partout les convois italiens, les petits détachements eux-mêmes itaient attaqués et malheureusement la résistance n'était point de grand résultat. Bientôt on apprenait que le Sud tripolitain avait été évacué par les Italiens et que les postes de Chat et de Ghadamès, adossés à la frontière française, étaient directement menacés. La politique du gouvernement fut de conserver vis-à-vis des Italiens une neutralité bienveillante et, sans combattre à leurs côtés, de protéger ceux d'entre eux qui se confieraient à nous. C'est ainsi qu'en décembre 1914 toute la garnison de Ghat se replia sous. la protection des feux de FortPolignac et fut défendue par nous lors de son long et pénible retour par Temassinin et Ghadamès. Quelques mois plus tard, en juillet 1915, la garnison de Ghadamès recevait à son tour l'ordre de se replier le long de la frontière française et les méharistes et goumiers algériens devaient encore protéger ce repli. Les conséquences de ce repli qui fut malheureusement accompagné de l'abandon de nombreuses armes : fusils, mitrailleuses, canons, allaient être considérables. Un mois plus tard, les montagnards du Djebel Tripolitain, conduits par Khalifa Ben Asker, furieux de ce que nous avions accueilli les restes des garnisons de Nalout et de Sinaoun, se portaient à l'attaque des postes du Sud tunisien vers Dehibat et Oum Souigh. Une dure campagne, qui dura jusqu'au début de 1916 et entraîna des contingents algériens, fut à ce moment engagée par la Tunisie qui dut, jusqu'à la fin de la guerre, se conserver une sérieuse couverture de ce côté. Cependant sur la frontière algéro-tripolitaine de Ghadamès à Chat la situation, jusque-là assez calme, devenait trouble. Les escarmouches devenaient plus nombreuses avec nos troupes de couverture; en mars 1916, les Senoussistes, levant tous les masques dont ils avaient essayé d'envelopper leur action, attaquèrent et enlevèrent notre poste extrême de Djanet. Ce fut le prélude de très dures opérations au cours desquelles la leçon infligée à Djanet aux Senoussistes, auxquels se joignirent peu à peu les Touaregs Ajjers, ne pouvait être confirmée comme il l'eût fallu par une victoire décisive sur les Senoussistes rassemblés à Ghat; au moment même de l'assaut, nous reçûmes l'ordre formel de ne pas attaquer. Dès lors, la partie était rendue difficile. Derrière les colonnes françaises, les coupeurs de route, rendus chaque jour plus hardis, enlevaient nos convois, nos courriers, attaquant même nos détachements. La reprise de l'offensive commencée en novembre 1916 ne pouvait aboutir, par suite de directives gouvernementales de plus en plus restrictives, qu'à évacuer la garnison de Fort-Polignac. Partout nos détachements tenaient, mais l'insurrection gagnait. Néanmoins Flatters et Aïn-El-Hadjadj étaient solidement organisés contre toutes attaques et les méharistes algériens allaient se porter vers le Hoggar où les événements commençaient à prendre mauvaise tournure, à cause de l'intrusion d'éléments étrangers nouveaux, lorsque le gouvernement, prenant une décision louable et sûre, mais qui arrêta sur le moment une action qui pouvait être intéressante, confia au général Laperrine, rappelé du front français, avec un commandement très vaste qui s'étendait sur tout le Sahara français depuis les rives soudanaises jusqu'à l'Algérie du Nord, des attributions élargies. Malheureusement, ni les liaisons télégraphiques nécessaires à un tel' commandement n'étaient encore réalisées, ni les pistes utiles pour les automobiles n'étaient équipées, et les deux dernières années de la guerre virent se continuer sans arrêt la même suite d'attaques, de pillages et de combats qui vinrent jusqu'aux portes mêmes d'In-Salah porter l'alarme. Du moins, au point de vue politique, Laperrine avait repris barre sur les Touareg Hoggar ramenés vers nous par Moussa Ag Amastare, honteux de sa défaillance d'un moment, et, lorsqu'en 1920, le général Laperrine revint. il retrouva le pays dans l'état où il l'avait laissé en 1910.