CAHIERS DU CENTENAIRE DE L'ALGÉRIE - LIVRET 4 – LES GRANDS SOLDATS DE L'ALGÉRIE Site http://aj.garcia.free.fr CHAPITRE VI LES LIEUTENANTS DE BUGEAUD La Moricière, Changarnier, Cavaignac, Bedeau Si le maréchal Bugeaud a pu triompher d'Abd el Kader et réaliser la pacification de l'Algérie, c'est parce qu'il avait sous ses ordres un grand nombre de généraux et d'officiers supérieurs connaissant le pays et ses populations et entraînés à la guerre d'Afrique. Il connaissait la valeur de ses lieutenants et discutait parfois leurs qualités en portant sur eux des jugements que le duc d'Aumale a retenus. Trois d'entre eux étaient à ses yeux au- dessus des autres; La Moricière, Changarnier et Bedeau. Son préféré était Changarnier, "méchant caractère, disait-il, mauvais coucheur, mais rude soldat, le plus fort, le meilleur de tous mes généraux " ; il l'appelait "le montagnard ", en raison de sa manière d'aborder la montagne de front comme lui, sans faire de détours. Il considérait Bedeau comme un " homme de devoir et de conscience, solide et ne bronchant pas au feu ". II ne plaçait qu'en troisième lieu La Moricière, " vaillant, infatigable, débrouillard. sans doute, mais doctrinaire, discutant sans cesse, ergotant, hésitant et n'aimant pas les responsabilités " ; ce dernier jugement a été certainement influencé par l'amertume qu'éprouvait Bugeaud de se voir attaqué à Paris par les partisans de La Moricière et de son système de colonisation. Parmi les officiers plus jeunes placés sous ses ordres, bien d'autres étaient remarquables à ses yeux; le général Cavaignac, "homme énergique, connaissant mal les Arabes, un peu susceptible, mais soldat de devoir, de discipline."chef d'état- major incomparable, énergie indomptable, caractère de fer » ; le colonel Morris, «superbe au feu, d'une bravoure sans égale, tempérament militaire par excellence » ; les colonels de Saint- Arnaud, Cousin-Montauban et Canrobert, auxquels il accordait un grand avenir. De cette pléiade, à laquelle il faudrait ajouter beaucoup d'autres noms encore pour qu'elle fût complète, quatre chefs ont émergé, pendant le commandement même de Bugeaud et sont restés chers à l'armée d'Afrique : La Moricière, Changarnier, Cavaignac et Bedeau. La Moricière Le général de La Moricière a été, avec Bugeaud, le chef le plus populaire de l'armée d'Afrique. Il a même été, dans l'esprit de certains officiers, son rival, parce que ses conceptions sur la direction et l'administration de la colonie étaient différentes. Breton d'origine, élève de l'école Polytechnique, jeune officier du génie en 1830, il obtint de participer à l'expédition, rendit maints services avec ses sapeurs, leva le plan d'Alger. Se passionnant pour le pays et sa population, curieux de mieux les connaître, il apprit l'arabe. Lors de la création des zouaves en 1831, il y entra à 24 ans comme capitaine, y connut les périodes difficiles du début, leur donna leur costume, et porta lui-même la chechia rouge qui le fit surnommer par les Indigènes « Bou Chechia », « l'homme à la chechia ». Malgré son activité physique à la tête de ses hommes, il étudiait le Coran, l'organisation et les mœurs des Indigènes, le régime de la propriété. Le général Trézel, chef d'état-major du duc de Rovigo, gouverneur en 1833, le chargea des relations avec les Indigènes, en le mettant à la tête d'un « bureau arabe » créé à son cabinet, avec dés interprètes pour l'assister. L'idée dominante de La Moricière était, dès cette époque, de s'associer avec les Indigènes au lieu de leur faire la guerre, de chercher à les connaître au lieu de les châtier à l'aveugle. Il mit sa théorie en pratique en obtenant des Hadjoutes, tribu avoisinant Alger, de faire garder les postes malsains de la Mitidja par des guerriers de leur tribu qui furent les premiers « spahis ». Payant beaucoup de sa personne, La Moricière allait audacieusement dans les tribus parler aux chefs. En même temps, il étudiait ce que pouvait donner la culture de l'olivier, du mûrier, du coton. Ce fut après une reconnaissance exécutée par ses soins et d'après les renseignements fournis par lui que le général Trézel put en novembre 1833 procéder à l'attaque de Bougie, opération à laquelle La Moricière prit part brillamment : « Il dirige l'exécution de tout ce qui offre quelque difficulté, écrivait Trézel. Coups de mains, tracé des ouvrages sous le feu, conduite des colonnes, tout roule sur lui, on le voit partout, et il est si bien connu, qu'officiers et soldats lui obéissent tout naturellement. » Mais comme, en son absence, les Indigènes des environs d'Alger avaient recommencé leurs brigandages, il ne fut plus chargé à son retour du bureau arabe, jugé inutile; du moins fut-il nommé chef de bataillon. La Moricière reprit le commandement de son bataillon de zouaves, fort diminué par la désertion, et s'appliqua aussi bien à élever le moral de ses hommes qu'à entretenir de bonnes relations avec les indigènes des tribus. Il pénétrait de mieux en mieux le caractère musulman et comprenait ainsi les erreurs commises. Lorsque Trézel éprouva l'échec de La Macta, La Moricière allait précisément par mer d'Alger à Oran, chargé par le général d'Erlon de négocier avec Abd el Kader : informé de l'événement, il débarqua à Arzew, et, voyant le triste état des troupes qui venaient d'y arriver, il poussa par mer jusqu'à Oran. De là, avec les capitaines Cavaignac et Montauban, accompagné de 300 cavaliers Douairs et Smela, il revint par terre à Arzew, et put, grâce à ce coup d'audace, décider les troupes non encore embarquées à revenir par terre à Oran, sauvegardant ainsi leur honneur. La bravoure spontanée de La Moricière se révéla encore en octobre 1835 lorsque, dans un engagement aux environs d'Alger, le jeune commandant sauva la vie du sous-lieutenant Bro, qui, blessé, démonté, abandonné, se défendait seul contre trois Indigènes. L'expédition de Mascara, en novembre-décembre suivants, donna à La Moricière et à ses zouaves, placés à l'avant-garde, l'occasion de se faire apprécier de l'armée. Le duc d'Orléans, qui avait beaucoup entendu parler d'eux, aimait à questionner La Moricière, déjà célèbre. Le grand fait d'armes de La Moricière, en tant que chef de troupe, fut à la prise de Constantine en 1837. Commandant de l'une des trois colonnes d'assaut, il avait sous ses ordres 300 zouaves, 40 sapeurs et deux compagnies du 2ème léger. Sa colonne partit la première, gravit la brèche, y planta le drapeau tricolore, et entra dans la ville; de toutes les maisons la fusillade crépitait; La Moricière indiquait aux porteurs d'échelles les bâtiments à enlever; on trouva une porte donnant dans une rue; mais tout à coup deux explosions formidables se produisirent, les sacs à poudre des. hommes et leurs cartouchières s'enflammèrent, des murailles s'effondrèrent, des blessés saignants et noircis se mirent à pousser des cris déchirants. C'était une mine qui venait de sauter. La Moricière fut retrouvé par ses zouaves sous les décombres, blessé d'un coup de feu, brûlé aux mains et au visage, n'y voyant plus, et fut transporté dans sa tente, Pendant ce temps, les deux autres colonnes avancèrent, et, traversant le lieu du sinistre, assurèrent la prise de la ville. La Moricière fut le héros de la journée; le grand drapeau rouge pris non loin de la brèche fut apporté le soir dans sa tente. Quelques jours plus tard, il fut nommé colonel, et revint le 4 novembre à Bône. La Moricière fut alors envoyé par Valée, avec 2.000 hommes, commander le camp établi à Coléa, pour rassurer les habitants de cette ville et établir la sécurité dans la grande banlieue d'Alger. Après un long congé en France, de novembre 1838 à juillet 1839, il constata avec joie que les relations avec les Indigènes étaient meilleures : « On arrive enfin à comprendre l'importance qu'il y a à ménager des gens qui, suivant notre conduite, seront des auxiliaires ou des ennemis, mais qui ne peuvent rester neutres dès qu'ils deviennent nos voisins. » Il eut quelques difficultés à maintenir l'existence des zouaves, menacée par le gouverneur lui-même qui ne les voyait pas d'un bon oeil ; il y parvint, et put même se couvrir à leur tête d'une nouvelle gloire à la Mouzaia. Il fallait, pour aller d'Alger à Médéa, traverser le col de Mouzaia. Le 12 mai 1840, Abd el Kader le défendait avec ses meilleures troupes. Comme il n'était pas possible d'aborder ces crêtes de front, une colonne dirigée par Duvivier ayant avec lui Changarnier tourna par la gauche et enleva les premiers retranchements; une deuxième dirigée par La Moricière exécuta son mouvement par la droite, et fit sa jonction avec la première au col. C'était encore, pour lui et pour ses zouaves, une belle journée de gloire. Sur ces entrefaites, il fut mandé à Paris, où Thiers voulait le consulter sur un plan de conquête et d'occupation de l'Afrique. II montra la nécessité d'abattre la puissance d'Abd el Kader, et proposa d'établir une division à Mascara et de rayonner de là, au lieu de rester à la côte. Il fut fait maréchal-de-camp, à 34 ans, et nommé au commandement de la province d'Oran. Le premier soin de La Moricière dans ses nouvelles fonctions fut de s'occuper de la santé de ses hommes; il étendit et améliora leurs casernements, il les dota d'une ceinture de flanelle, d'un petit bidon ou d'une peau de bouc pour trans porter de l'eau; il remplaça le col d ordonnance par une cravate ; il fit découdre les sacs de campement pour permettre, en les réunissant, de dresser des tentes au bivouac. Il organisa, sous les ordres du capitaine Daumas, un service de renseignements en relations constantes avec les Indigènes. Il entraîna et aguerrit pendant quelques mois ses troupes dans de petites expéditions aux environs d'Oran ; puis il pensa à réaliser son projet d'occupation de Mascara. Lorsqu'il eut préparé l'expédition avec le plus grand soin, en prenant Mostaganem comme base, Bugeaud vint, en mai 1841, en prendre le commandement, et, après avoir détruit Tagdempt, occupa Mascara, où il laissa une garnison. La Moricière s'occupa activement de l'aménagement de Mascara; il en fit non seulement une garnison saine, mais le centre d'où partaient des colonnes destinées à soumettre les tribus ralliées à Abd el Kader. Afin de pouvoir rayonner au loin sans avoir à se ravitailler, La Moricière pourvut ses soldats de petits moulins à bras leur permettant de moudre eux-mêmes leur blé, qu'ils cuisaient ensuite en galettes à la mode arabe; ce blé, ils le trouvaient dans les « silos », sortes de cavernes souterraines dans lesquelles il était enfoui, et dont les indicateurs indigènes faisaient connaître les emplacements ; la viande était fournie par les bœufs et les moutons provenant des razzia. Les chaussures étaient remplacées, quand elles étaient usées, par les peaux des bœufs de razzia. Disposant de peu de cavaliers, La Moricière les remplaçait par des bataillons d'élite dont les sacs étaient portés sur des mulets. Ses troupes, toujours en route, étaient mieux portantes que si elles avaient végété dans l'oisiveté des camps. Dans une campagne d'hiver en 1841, il soumit les tribus des environs immédiats de Mascara, puis, dans une campagne de printemps 1842, il rayonna largement, maintenant dans une alerte perpétuelle les tribus d'Abd el Kader, obtenant la soumission de nombre d'entre elles et les dotant aussitôt d'une organisation administrative. En septembre, il poussa dans le Sahara, jusqu'à Taguin; puis, revenant vers le Nord, il faillit à deux reprises successives s'emparer d'Abd el Kader. Dès qu'il avait pacifié, La Moricière cherchait à organiser. Il s'occupa beaucoup des terres domaniales, de la zone civile qu'il entendait développer autour d'Oran, des commissions militaires destinées à administrer les centres de colonisation. Pour tenir le pays, il fonda Tiaret en avril 1843, comblant le vide qui séparait les provinces d'Alger et Oran ; puis, pendant l'été, il fonda Sidi bel Abbés et releva Saïda, postes destinés à servir de points d'appui et de ravitaillement aux colonnes opérant contre Abd el Kader. Nommé général de division et revenu à Oran, La Moricière s'appliqua aux questions de défrichement, de conduite et de distribution des eaux, de routes; il sut associer, pour tous les grands travaux tels que les barrages, la main-d'œuvre des tribus à celle de l'armée. Inquiété par les incursions que les partisans de l'Émir, réfugié aux confins du Maroc, faisaient sur le territoire algérien, il fut obligé de fonder deux postes à l'ouest et au sud de Tlemcen : Lalla-Maghrnia et Sebdou. Les hostilités avec le Maroc s'étant ouvertes, la bataille de l'Isly lui valut de nouveaux lauriers. Il eut ensuite à deux reprises l'intérim du gouvernement de l'Algérie, en 1844 et en 1845, pendant les séjours de Bugeaud en France. Lorsqu'en l'absence du Maréchal éclata l'insurrection de septembre 1845, marquée à son début par la catastrophe de Sidi- Brahim, La Moricière se trouva en face d'une situation grave, à laquelle il sut parer par des mesures immédiates. Il partit d'Alger avec des renforts pour l'ouest, rejoignit Cavaignac, accula une partie des populations révoltées à la mer, et se montra généreux en leur accordant l'aman. Amèrement critiqué par Bugeaud, qui lui reprochait d'avoir fondé trop de postes, il continua néanmoins à faire de son mieux pour coopérer, avec son chef, aux opérations de poursuite menées contre Abd el Kader ; il eut toutefois des discussions fréquentes avec lui, aussi bien pour ne pas évacuer des postes qui lui paraissaient indispensables, comme Sidi bel Abbés et Aïn Temouchent, que pour ne pas imposer aux troupes des efforts disproportionnés aux résultats possibles. Le motif le plus sérieux de désaccord entre La Moricière et Bugeaud était la discordance entre leurs systèmes de colonisation. Tandis que Bugeaud voulait établir des colons militaires en leur fournissant tous les moyens nécessaires, La Moricière préférait que des hommes disposant de capitaux suffisants missent en valeur des concessions qui leur seraient attribuées; afin de pouvoir attribuer ces concessions, il définissait les terrains laissés aux Indigènes pour leurs cultures et leur parcours, c'est-à-dire leur « cantonnement ». Il estimait que de nouveaux venus, sans expérience et sans capitaux, ne pourraient créer des établissements durables; il voulait non des ouvriers incapables de faire valoir, mais des hommes jouant un rôle analogue à celui joué en France par des métayers et des fermiers, et autour desquels se grouperaient des ouvriers. Il basait son système sur l'établissement rapide du régime civil, sur la décentralisation des institutions et sur l'initiative privée, tandis que Bugeaud ne faisait reposer le sien que sur le régime militaire et sur l'autorité absolue du gouverneur. La Moricière avait longuement étudié l'histoire de l'Afrique romaine, celle des colonies françaises, les mœurs et la religion des populations musulmanes. Dans ses projets, qui étaient le fruit de ces laborieuses études, il envisageait la marche progressive des villages français de la côte vers le Sud, les moyens d'entente avec les populations indigènes, en un mot la constitution d'une colonie riche et productive. Mais il était désolé de constater combien toutes ces questions étaient peu comprises par les Chambres : « Quel déplorable spectacle, écrivait-il, que celui d'hommes aussi ignorants, aussi faibles, aussi peu gens d'affaires, discutant de semblables questions, de pareils intérêts ! » Pour pouvoir faire triompher plus aisément ses idées, il alla en 1846 se faire élire député dans la Sarthe. En même temps, il mettait son système en pratique dans le « triangle de colonisation » s'étendant entre Oran, Mostaganem et Saint-Denis du Sig; après avoir dressé une carte complète et détaillée de la situation si compliquée de la propriété indigène, de manière à ne léser personne, il accordait des concessions provisoires aux émigrants attirés en Afrique par sa réputation. Le général de division, transformé en capitaine d'industrie et en député, écrivait à un ami en mai 1846 : « Tant que nous n'avons eu ici que la guerre à faire, je me suis renfermé dans les devoirs simples de ma profession, j'ai fait mon chemin le sabre au poing et les éperons au ventre de mon cheval » ; mais il s'était désormais tracé un autre devoir, celui de faire progresser la colonisation. Venu à Paris pour se marier, au printemps de 1847, La Moricière put détruire à la Chambre nombre de fausses conceptions, montrer que la tribu ne pouvait se transformer soudainement, que l'assimilation des Indigènes était pour longtemps impossible, et répandre ses idées sur la colonisation. De retour à Oran, il continua à s'occuper avec activité de ces questions; il essaya de stabiliser les Indigènes, en les poussant à construire des maisons, en leur enseignant des procédés de culture, en cherchant à leur donner d'autres éléments d'instruction que les seuls versets du Coran. Dans ses rapports, il exposait les questions en homme connaissant d'une manière approfondie l'état d'âme des Indigènes :« Nous avons beau gouverner avec équité et mansuétude, écrivait-il, le droit régulier n'est pas pour nous, et il n'est pas décidé qu'il soit permis d'obéir aux Chrétiens sans abandonner sa religion. » Il s'ingéniait en même temps à aider les colons européens désireux de s'établir, leur fournissant des bœufs, des truies, de la semence, favorisant le défrichement et l'irrigation. Il avait à vaincre les résistances de la bureaucratie, car l'ordonnance du 4 décembre 1846 relative aux grandes concessions avait hérissé ces opérations de difficultés, comme pour décourager les capitaux désireux de s'employer. Quoique s'occupant avec ardeur du développement de la colonisation, La Moricière ne perdait pas de vue la surveillance d'Abd el Kader, réfugié au Maroc. Au mois de décembre 1847, il avait fermé tous les passages, alors que l'Émir pourchassé par les Marocains avec sa « deïra » encombrée de femmes, d'enfants et de blessés, était aux abois. Dans la nuit du 21 au 22 décembre, Abd el Kader découragé, résigné à « la volonté de Dieu », remit à un lieutenant de spahis une feuille de papier sur laquelle il apposa son cachet; La Moricière, qui reçut cet envoi à cheval dans la nuit, lui envoya en retour son sabre et le cachet du commandant Bazaine. Ce premier échange fut confirmé, dans le courant de la journée, par une lettre d'Abd el Kader, à laquelle La Moricière répondit par une promesse écrite d'aman. L'Émir vint se rendre avec ses fidèles dans la journée du 23, au lieu même de sa plus retentissante victoire, à Sidi Brahim, où il trouva le colonel de Montauban ; il renouvela sa soumission à La Moricière, qui arriva bientôt accompagné de Cavaignac, et poursuivit avec eux sa route sur Nemours. La gloire d'avoir participé à cet événement d'une immense portée était bien due au chef qui avait dirigé tant d'expéditions destinées à obtenir la pacification du pays, à l'administrateur qui avait prodigué tant d'efforts pour réaliser sa colonisation, et qui, quelques semaines plus tard, partait pour la France, sa carrière africaine définitivement close. Le général Changarnier Le brave Africain que fut Changarnier était étudiant en droit lorsqu'il était entré aux gardes du corps du Roi en 1815, avec rang de lieutenant ; rien n'indiquait chez ce jeune homme de petite taille, blond, rose, de tenue très soignée, qu'il dût devenir un rude soldat. Capitaine au 2e léger en 1830, il prit part à l'expédition d'Alger à la tête d'une compagnie; il revint avec elle à Perpignan et se fit distinguer entre tous par son général de division, Castellane, qui s'y connaissait en hommes, et qui le notait : « Fait pour commander aux autres. » Parti avec son bataillon pour la province d'Oran en novembre 1835, il le commanda par intérim à l'expédition de Mascara ; il se conduisit brillamment à l'avant-garde de la brigade Oudinot, à l'engagement de Sidi Embarek, puis se fit remarquer au retour par son endurance sous les pluies abondantes et pendant les nuits passées debout dans la boue. Nommé chef de bataillon à la suite de cette campagne, il confirma sa réputation naissante par sa conduite à la première expédition de Constantine en 1836, dans la division Trézel. Ce fut surtout pendant la retraite qu'il eut l'occasion de montrer sa vaillance, son énergie et son sang-froid. Alors qu'un certain désordre se produisait dans la plupart des corps, Changarnier forma avec son bataillon l'arrière-garde de la colonne. La cavalerie ennemie se précipitant sur lui, il arrêta son bataillon, et s'écria d'une voix forte: « Soldats du 2ème léger, regardez ces gens-là en face : ils sont six mille et vous êtes trois cents. Vous voyez que la partie est égale. » Puis il fit former le carré, commencer le feu sur trois faces, et joncha le terrain des cadavres de ses adversaires. Il eut un capitaine et 16 hommes tués, et plus de 40 blessés, dont lui- même; mais il sauva l'armée. Changarnier et son bataillon furent acclamés par toutes les troupes lorsque, l'ennemi s'étant retiré, ils rejoignirent le bivouac. On parla partout, en Algérie, en France et même à l'étranger, du héros de la retraite de Constantine. Au début de 1837, Changarnier fut convoqué à Paris par le ministre de la Guerre; en arrivant à Marseille, il apprit qu'il était nommé lieutenant-colonel au 2e léger. Lorsqu'il revint en Algérie après son congé, il séjourna dans les camps des environs d'Alger, jusqu'au moment où il participa en 1839, au lendemain de sa nomination de colonel du régiment, à l'expédition des Portes de Fer. La reprise de la guerre par Abd el Kader à la fin de 1839 donna au maréchal Valée l'occasion d'utiliser Changarnier : il l'installa à Boufarik afin d'y assurer la marche des convois destinés à ravitailler la garnison de Blida. Chaque convoi donnait lieu à des engagements : celui du 31 décembre, que Valée vint diriger lui-même, fut marqué par une magnifique charge du 2ème léger dirigée par Changarnier. Valée décida alors dé le laisser au camp de Blida, d'où il infligea aux ennemis qui le bloquaient une si sévère leçon le 29 janvier 1840, qu'il eut ensuite la paix durant Plusieurs semaines. Le 2ème léger était la preuve vivante des résultats que peut obtenir l'action personnelle d'un chef de corps; il se distinguait entre tous les régiments par son instruction, sa discipline, son entrain, son moral, sa gaieté. Le colonel Changarnier, par l'exemple constant qu'il donnait, par la bienveillance avec laquelle il traitait ses subordonnés, par la sévérité dont il usait avec les mauvais sujets, par l'habileté avec laquelle il développait les sentiments d'honneur, de patriotisme, de camaraderie, de dévouement, avait acquis la confiance et l'affection de son régiment, et pouvait lui demander n'importe quel effort. Lorsque, au printemps de 1840, une colonne destinée à occuper Médéa et Miliana fut constituée par Valée, Changarnier fut avec son régiment le héros de la journée en plusieurs circonstances. Au Tenia de Mouzaïa, le 12 mai, il escalada les retranchements établis par les troupes d'Abd el Kader, enleva la redoute qui défendait la position et y fit flotter son drapeau, tandis que le clairon sonnait la marche célèbre du 2ème léger. Son régiment eut les quatre cinquièmes des pertes de la journée, et presque toute la gloire. Médéa ayant été occupée le 17 mai, puis Miliana le 8 juin, il fallut ravitailler leurs garnisons. Changarnier joua, dans ces opérations difficiles, le premier rôle. Dès le 21 juin, il était nommé maréchal de camp, après dix mois de grade de colonel seulement, sans que nul de ses camarades ne critiquât ce superbe avancement. Il reçut le commandement de la subdivision de Blida. Ce fut lui qui ravitailla Médéa le 28 août; lui encore qui surprit le lieutenant d'Abd el Kader, Ben Salem, venu assiéger un petit poste laissé dans une tour au camp supprimé de Kara-Mustapha ; lui enfin qui ravitailla le 4 octobre Miliana, où 800 hommes sur 1.200 étaient morts de maladies et de privations. Changarnier avait conquis l'admiration de toute l'armée d'Afrique, depuis le maréchal Valée jusqu'au moindre troupier. Son aide-de-camp, le capitaine de Mac-Mahon, écrivait en parlant de lui :« Il réussit dans tout ce qu'il entreprend beaucoup mieux qu'on ne s'y attendait... Plus brave que qui que ce soit au monde, il garde toujours son sang-froid. Il inspire aux troupes une confiance immense. » Le capitaine de Montagnac, le futur héros de SidiBrahim, écrivait aussi, en octobre 1840 : « Les généraux sont à Alger n'ayant pas d'emploi et n'en demandant pas. Il v a ici un général qui est tous les généraux de l'Afrique. C'est Changarnier. Y a-t-il une expédition à organiser? vite; on ramasse des fractions de tous les corps, et l'on prend mon Changarnier. - Y a-t-il une razzia à faire ? - Changarnier. - S'agit-il d'établir un télégraphe dans les nuages ? - Encore Changarnier, toujours Changarnier ! - Changarnier est donc le factotum, l'homme universel, indispensable de toutes les affaires africaines. » Changarnier avait d'ailleurs la modestie de reporter sur les troupes qu'il formait à son image le mérite de sa réussite, et s'exprimait à leur sujet, dans son rapport de fin d'année, dans les termes suivants : « Intelligentes et disciplinées, avides de périls et d'honneur, commandées par des hommes désintéressés de tout, sauf de la Patrie et de la gloire, nos troupes ont atteint le plus haut degré de perfection qu'une noble nation puisse souhaiter à son armée. » Le remplacement du maréchal Valée par le général Bugeaud, au début de 1841, causa quelque peine à Changarnier, que Valée traitait en ami, qu'il était arrivé à consulter sur tout, et avec qui il venait même d'établir un vaste plan de campagne pour le printemps. Mais le jeune général allait être bientôt aussi apprécié du nouveau gouverneur que de l'ancien. Bugeaud commença immédiatement à agir avec ses colonnes, destinées non plus seulement à ravitailler les postes, mais aussi à inquiéter l'ennemi par des mouvements offensifs. Le 2 avril, au Tenia de Mouzaïa, Changarnier reçut à l'omoplate une balle qui lui fit une blessure assez grave. Tandis que le chirurgien le pansait : « Pressezvous, lui disait-il, j'ai des ordres à donner » ; et, le bras en écharpe, il se remit en selle ! A peine rétabli, à la fin du mois, il reçut le commandement d'une brigade dans l'expédition de Miliana. Il prit part en mai aux expéditions du général Baraguey- d'Hilliers, qui eurent pour objet de détruire les villes de l'Émir, Boghar et Taza. La guerre avait pris une forme nouvelle, contre des adversaires qui adoptaient comme moyen de défense de se dérober : elle s'exécutait sous la forme de razzia, suivant les instructions de Bugeaud. Changarnier y excella, ménageant ses troupes sauf le cas de nécessité absolue, protégeant efficacement les tribus qui se soumettaient, poursuivant impitoyablement les autres. Bugeaud lui écrivait le 24 juin 1842 : « On n'a réellement pas le temps d'apprendre le nom de toutes les tribus qui viennent à vous. Poursuivez cette belle volage qu'on nomme la Fortune... Modifiez, comme vous l'entendez, les instructions que je vous ai données. Il me tarde de connaître la suite des résultats brillants que vous avez obtenus." Quelques jours plus tard, Changarnier tombait par surprise, dans la vallée du Chélif, sur des tribus en fuite, et leur enlevait 3.000 prisonniers, 1.800 chevaux et d'immenses troupeaux, méritant par cette affaire ces lignes de Bugeaud :« Je suis transporté de joie, c'est admirable. » La mission qui fut confiée à Changarnier pour l'automne 1842 était plus difficile. Il devait descendre le Chélif jusqu'à l'oued Fodda, et aborder les montagnes tourmentées de l'Ouarensenis, tandis qu'une colonne partie de Cherchell tendrait à se joindre à lui. Il remplit assez aisément une partie de sa mission; mais environné, dans la vallée même de l'oued Fodda, par des milliers d'assaillants, il livra le 19 septembre un combat rempli d'épisodes tragiques, où sa colonne eût pu être anéantie. Il ne perdit pas un moment son sang-froid ni son assurance, et donna ses ordres avec le coup d'œil qui était une de ses plus grandes qualités. Sorti de cette dangereuse situation au prix de pertes cruelles en officiers et en hommes, il termina néanmoins l'opération par une razzia sur les tribus même qui avaient tenté de l'accabler. L'effet produit par cette campagne aida puissamment au succès des trois colonnes convergentes, dont l'une commandée par Changarnier, qui opérèrent dans Ouarensenis à la fin de l'année. Les rapports entre Bugeaud et Changarnier se tendirent dans les premiers mois de 1843. Bugeaud était-il dépité de voir la presse le critiquer âprement et distribuer des louanges à ses lieutenants ? Changarnier estimait-il que le gouverneur ne reconnaissait plus suffisamment le succès de ses efforts pour amener la pacification des tribus ? II n'y avait là sans doute qu'un malentendu entre deux caractères fort différents, Bugeaud ayant eu des vivacités de langage ou de plume que la fierté et la susceptibilité de son subordonné n'avaient pas supportées. En tous cas, Changarnier n'eut pas à se plaindre de son avancement, car arrivé en Afrique six ans et demi auparavant comme capitaine, il fut nommé lieutenant-général le 9 avril. Commandant la division de Titteri et Miliana, il eut sous ses ordres le duc d'Aumale, qui alla surprendre la Smala, pendant que lui-même pacifiait les montagnes de l'Ouarensenis par des colonnes successives. Mais ses rapports avec Bugeaud ne s'améliorant pas, il dut rentrer en France. Changarnier remplit pendant quatre ans, d'août 1843 à septembre 1847, des fonctions d'inspecteur d'infanterie, menant une vie bien différente de celle qu'il avait menée en Afrique, et briguant même un siège de député que les électeurs ne lui donnèrent pas. Lorsque, après le retour en France de Bugeaud, le duc d'Aumale lui offrit de servir en Algérie sous ses ordres, il accepta avec empressement; il prit le commandement de la division d'Alger, tandis que La Moricière commandait la division d'Oran, Bedeau celle de Constantine, et que le général Cavaignac conservait la subdivision de Tlemcen. Abd el Kader s'était à peine rendu depuis quelques semaines, que la Révolution de 1848 vint bouleverser cet état de choses. Tandis que le duc d'Aumale s'embarquait pour l'exil, Changarnier prenait l'intérim du gouvernement général, pour lequel le général Cavaignac était désigné. Appelé à Paris, « les circonstances firent malheureusement de lui, comme il l'écrivit plus tard, un personnage politique ». Mêlé aux événements de cette époque troublée, il fut banni de France par Louis Napoléon-Bonaparte en janvier 1852, en même temps que La Moricière et Bedeau. Il avait sacrifié sa magnifique carrière à des querelles civiles pour lesquelles il n'était guère préparé. Dans sa vie mouvementée, qui se termina en 1877 par des funérailles nationales aux Invalides, c'est la partie africaine qui étincelle de l'éclat le plus pur, celle qui a mis en lumière ses magnifiques qualités de soldat, celle par laquelle il est toujours resté populaire auprès du peuple français. Le général Cavaignac Fils d'un conventionnel exilé par la Restauration, Eugène Cavaignac était entré à Polytechnique en 1820 et en était sorti dans l'arme du génie. Il était profondément imbu d'idées républicaines, qu'il ne cachait pas, et fit même à Metz, comme capitaine en 1831, de la propagande pour elles, ce qui lui valut d'être l'objet de rapports défavorables au ministre de la Guerre. Envoyé en Algérie en 1832, il dirigea des travaux de son arme, en particulier des constructions de routes, au milieu des difficultés et des dangers de cette période. Le capitaine Cavaignac accompagna Clauzel dans son expédition sur Tlemcen en 1836. Lorsque le maréchal décida d'y laisser une garnison pour aider les Koulouglis à défendre le Méchouar (la citadelle), et qu'il forma à cet effet un bataillon de 500 volontaires, ce fut le capitaine Cavaignac qui en reçut le commandement avec le titre de chef de bataillon provisoire. Il eut comme premier soin de perfectionner l'organisation militaire des 600 à 700 Koulouglis qui se trouvaient avec lui et de compléter les fortifications de leur quartier. Privé de communications avec. Oran depuis le départ de Clauzel le 7 février, attaqué par les tribus des environs, il s'appliqua à maintenir et à élever le moral de ses hommes et leur montra l'exemple et l'endurance jusqu'au moment où il fut délivré par Bugeaud le 24 juin. Bugeaud laissa à Cavaignac 300 éclopés, lui prit 200 de ses volontaires et 300 Koulouglis, réalisa la jonction avec la mer, remporta la victoire de Sikkak, et lui ramena un convoi de ravitaillement. Mais, dès qu'il se fût éloigné, le blocus recommença. Cavaignac dut partager ses approvisionnements avec ses protégés indigènes, si bien qu'il fut obligé de fabriquer du pain avec de l'orge et du son, de distribuer seulement la demi-ration, et de se procurer de la viande par des razzia aux environs. Le 28 novembre, un convoi venu d'Oran avec le général Létang soulagea la détresse de la petite garnison, et put emmener une partie des Indigènes qui lui étaient à charge. Mais le blocus reprit ensuite, et fit subir aux assiégés des privations et des souffrances plus fortes que jamais : Cavaignac, stoïque et amaigri, donnait l'exemple à ses hommes, qui n'osaient se plaindre en voyant ce que supportait leur chef. Un convoi amené par des Indigènes par suite d'un accord entre le général de Brossard et Abd el Kader, parvint à Tlemcen au début d'avril 1837 : Cavaignac en distribua un tiers aux Indigènes, et vécut sur les deux autres tiers jusqu'à ce que, le 20 mai, Bugeaud reparût, à la tête de forces importantes. Tant d'énergie et d'endurance furent malheureusement sans profit. Par le traité de la Tafna, que Bugeaud conclut avec Abd el Kader le 30 mai 1837, Tlemcen fut cédée à l'Émir. Cavaignac et ses volontaires évacuèrent le Mechouar; leurs alliés les Koulouglis, abandonnés par le traité, les suivirent en partie, avec ce qu'ils purent emporter de leurs biens... Cavaignac, dont la santé était ébranlée par les privations subies à Tlemcen, alla se reposer quelque temps en France, et y réunit, dans ses Notes sur la Régence d'Alger, le fruit de ses études et de ses réflexions depuis six ans. Il soulevait dans ces pages les grands problèmes algériens qui ont attiré depuis lors et qui attirent encore l'attention de tous les penseurs. Il plaçait au premier rang de ses préoccupations le sort de la population indigène : « Ce qu'il faut à cette population, écrivait-il, c'est le repos, la protection, la liberté, telle qu'elle peut la comprendre, la justice surtout, telle que tous les hommes la comprennent. C'est à la France de faire prévaloir tous ces principes d'une application nouvelle chez les Arabes... » Il estimait que la protection accordée aux Indigènes amènerait la sécurité, grâce à laquelle ils pourraient cultiver leurs terres : « La guerre, écrivait-il, ne doit pas être notre but; elle ne peut être que l'appui d'une politique pacifique et protectrice du travail. » Cette guerre, il la voulait « immédiate, plus prompte que meurtrière », afin de soumettre les Indigènes et de leur permettre ensuite de participer aux bienfaits de la civilisation. Le plan d'occupation qu'exposait le jeune officier dans son ouvrage, consistait à éviter les campagnes répressives sans résultat pratique. A quoi pouvait servir d'aller dans une tribu pour l'abandonner ensuite? Si la tribu se soumettait aux Français, elle était certaine d'être châtiée rudement par Abd el Kader, puisqu'elle était laissée sans défense; si elle ne se soumettait pas, elle était dévastée et ruinée par les Français, par suite rendue hostile pour longtemps... Cavaignac était d'avis de constituer un large front, en arrière duquel les tribus seraient protégées et organisées; ces tribus, si elles étaient certaines d'avoir la sécurité, n'émigreraient pas, et fourniraient même aux troupes leurs moyens de subsistance. Comme les colonnes ne s'éloigneraient pas beaucoup du front choisi, elles n'auraient plus besoin de s'encombrer d'approvisionnements, de surcharger les hommes; elles deviendraient ainsi plus mobiles, condition essentielle de leur succès. Pour réaliser mieux encore cette mobilité, Cavaignac proposait de les doter largement en cavalerie, ce qui leur permettrait au moment opportun d'atteindre l'ennemi. De retour en Algérie en mai 1838, le chef de bataillon Cavaignac fut chargé par le maréchal Valée de commander la garnison de Coléa, forte de deux bataillons de zouaves, une compagnie du génie et une batterie d'artillerie, et d'organiser cette place. Puis, le colonel de La Moricière étant revenu prendre le commandement des zouaves et des camps, il reçut en janvier 1840 le commandement du 2e bataillon d'infanterie légère d'Afrique, alors à Coléa. La reprise des hostilités avec Abd el Kader ayant amené l'occupation de Cherchell, Cavaignac fut chargé d'occuper avec son bataillon cette ville, que les habitants avaient évacuée à l'approche des Français. C'était à nouveau une pénible tâche, analogue à celle de Tlemcen, mais que Cavaignac, grâce à son admirable esprit de devoir, remplit avec la même abnégation et le même courage. Assailli sans répit par une nuée d'Indigènes, du 21 avril au 3 mai, il fut blessé d'une balle à la cuisse le 29 avril, mais ne quitta pas un moment son commandement, animant ses hommes par sa magnifique attitude, montrant tour à tour, suivant les circonstances, son audace et sa prudence, et conservant dans les circonstances les plus critiques un incomparable sang- froid; il fut à deux reprises, le 30 avril et le 2 mai, obligé de repousser à la baïonnette les assaillants, qui le 3 mai se retirèrent découragés. Nommé lieutenant-colonel à la suite de ce beau fait d'armes, Cavaignac reçut le commandement du 3e bataillon de zouaves, dont l'organisation avait été décidée, et dont les premiers éléments furent fournis par ses volontaires de Tlemcen. C'était un commandement qui convenait parfaitement à cet officier d'élite, aussi ferme que brave, aussi digne que familier. Chargé d'occuper et d'organiser Médéa, il se distingua en novembre et décembre 1840, exécutant des sorties contre les tribus soumises à Abd el Kader, et allant même, en janvier 1841, avec 500 hommes, razzier une tribu que protégeaient les soldats réguliers de l'Émir. En transmettant au Ministre le rapport, toujours modeste, de Cavaignac sur cette affaire, le général Schramm gouverneur général par intérim, ajoutait : « Cet officier supérieur, éminemment distingué et capable, est digne à tous égards de votre intérêt et appelé à rendre de nouveaux et éclatants services dans les nouveaux grades que vous voudrez bien lui faire conférer ». Mais les grades étaient plus difficiles à conquérir pour lui que pour d'autres, en raison de ses opinions politiques. Cavaignac, qui s'en rendait compte, continuait néanmoins à accomplir stoïquement son devoir, faisant exécuter, malgré les rigueurs de l'hiver, les travaux d'installation de Médéa de manière à en faire un poste sain, agréable, et bien pourvu de produits agricoles. L'arrivée de Bugeaud en février 1841 fut bientôt suivie d'opérations auxquelles Cavaignac prit une part brillante, en avril dans la province d'Alger, en mai dans celle d'Oran. Promu colonel en août, il remplaça à la tête des zouaves La Moricière, nommé lui-même maréchal-de-camp, et les commanda aux dures expéditions de 1842 et au début de 1843, recevant souvent la mission difficile de former l'arrière-garde. Pour tenir le pays, au moyen du réseau de grands postes qu'il avait imaginé, Bugeaud décida au mois d'avril 1843 d'aller occuper Ténès sur la mer et de fonder un camp permanent entre Miliana et Mostaganem, dans la vallée du Chélif, en un point appelé El Asnam. dl espérait de cette façon tenir une région qui avait jusque là échappé à son autorité. Cavaignac reçut la mission, tout en surveillant le pays, de faire sortir de terre, à El Asnam, le poste qui reçut ensuite, le nom d'Orléansville. Il réalisa cette oeuvre d'une manière aussi rapide que complète, construisant un pont sur le Chélif, une route allant à Ténès, une autre route se dirigeant d'une part sur Miliana, d'autre part sur Mostaganem, des casernes, des magasins, des fortifications, des maisons. Les colons vinrent s'établir dans le nouveau centre, les Indigènes approvisionnèrent son marché. Sa subdivision d'Orléansville comprit deux cercles; celui d'Orléansville où s'établirent 500 Européens, et celui de Ténès, où 1.000 s'établirent. Cavaignac qui, avec les 2.500 hommes sous ses ordres, avait à réaliser nombre de travaux, parvint en outre à aider considérablement ces colons pour leur établissement; il fit, dans les deux postes, défricher des terrains, créer des pépinières, bâtir des maisons et des fermes, canaliser les ruisseaux, si bien qu'il transforma rapidement les camps en petite ville. Il organisa l'administration des Indigènes avec des fonctionnaires musulmans investis par ses soins; il détermina avec soin les impôts à exiger; il fit distribuer des vivres et des semences aux tribus qu'il avait été obligé de razzier pour les soumettre, il montra une fermeté constante, mais une justice impartiale. Il obtint par cette sage administration, une sécurité presque complète de la région et réalisa une collaboration fructueuse entre les éléments européens et indi gènes; les impôts rentrèrent au delà des espoirs permis et la production agricole s'accrut dans des proportions importantes. Le grade de maréchal de camp qui vint récompenser en septembre 1844 les mérites de Cavaignac l'amena en octobre au commandement de la subdivision de Tlemcen. Le général Bedeau avait rétabli la paix et la prospérité dans cette ville rendue jadis à Abd el Kader par le traité de la Tafna. Mais l'Émir, réfugié au Maroc, intriguait toujours, quoique mis hors la loi par le traité avec le Maroc. Cavaignac entreprit, pendant l'été de 1845, de pacifier le pourtour de sa subdivision, en frappant les tribus insoumises du Sud, dans la région des Chotts, et en surveillant la frontière du Maroc par où on pouvait craindre des incursions d'Abd el Kader. Comme en septembre une certaine agitation se manifestait dans les montagnes des Trara, il s'y porta avec une colonne et attaqua les révoltés; il constata chez eux un acharnement extrême, les battit, et n'obtint cependant aucune soumission. Étonné de cette anomalie, il en connut bientôt la raison : Abd el Kader avait franchi la frontière marocaine et venait d'anéantir à peu près complètement le 23 septembre, près de Sidi Brahim, le détachement avec lequel le lieutenant-colonel de Montagnac avait tenté de l'arrêter (1). On comprend quelle immense impression un tel événement avait produit dans les tribus. L'insurrection se généralisait. Cavaignac se hâta d'aller couvrir Tlemcen, et de rallier à lui les petites colonnes de sa subdivision. Cependant, un détachement de 200 hommes envoyé pour défendre le poste d'Aïn Temouchent fut surpris le 27 septembre en cours de route et se rendit sans combat! Ce nouveau succès de l'Émir contribua à attiser l'incendie. Les tribus du sud de Tlemcen se révoltèrent et assassinèrent, le 1er octobre, deux officiers attirés dans un guet-apens... Abd el Kader faisait le vide dans le pays, forçant les tribus à émigrer au Maroc auprès de sa « deira ». Cavaignac décida de barrer la route à ce mouvement : il alla occuper le col de Bab Taza, qui domine la région, et y fut rejoint par La Moricière, accouru en hâte d'Alger avec des renforts. Leurs forces réunies attaquèrent alors le 13 septembre en trois colonnes les Trara révoltés, qui tenaient le col d'Aïn Kebira, défendant l'accès de leurs montagnes. Cavaignac commanda la colonne qui avait la mission la plus difficile; il gravit avec elle des pentes escarpées, sous la fusillade des Kabyles, et enleva brillamment la position, décidant du succès de la journée, tandis qu'Abd el Kader abandonnait les populations qu'il avait compromises. Ces populations, entassées dans un pâté montagneux, furent acculées à la mer par un nouveau combat où Cavaignac joua encore le principal rôle; elles étaient à la merci de La Moricière, qui, voulant être généreux, leur fit grâce. La Moricière étant reparti vers l'est, à la suite d'Abd el Kader, Cavaignac s'appliqua à empêcher l'émigration des tribus de sa subdivision. Il constitua, avec l'élite de ses troupes, une colonne qui parcourut la région en tous sens, et parvint à ramener une importante partie des émigrés sur leurs territoires. Ces résultats obtenus, il projeta en février 1846 de surprendre la deïra d'Abd el Kader qui était campée au Maroc vers la Moulouïa, tandis que l'Émir opérait d'ans l'Est. Mais sa tentative fut éventée, et lorsqu'il atteignit la Moulouïa avec sa cavalerie, la deïra était loin... Il revint par l'itinéraire qu'avait suivi Abd el Kader pour entrer en Algérie, et passa par Sidi Brahim ; il retrouva sur le terrain les ossements des chasseurs d'Orléans et des hussards, marquant les phases de leur lutte héroïque, il les fit inhumer et leur rendit les derniers honneurs. Au mois de mars 1846, c'est dans le sud qu'il opéra, malgré la pluie et la neige, ramenant des Hauts-Plateaux à Tlemcen plusieurs milliers de têtes de bétail enlevées aux tribus insoumises. Cependant l'un des agitateurs, Sidi et Fadel, qui se prétendait le Christ ressuscité, avait groupé autour de lui différentes fractions de tribus, et les avait fanatisées; il vint audacieusement se mesurer à lui à quelques kilomètres de Tlemcen, et fut taillé en pièces. Cavaignac alla ensuite, au mois de juin, punir les tribus de la frontière qui étaient venues renforcer les contingents d'Abd el Kader lors du combat de Sidi Brahim, et qui avaient emporté dans leurs douars les dépouilles des soldats français; il accula à la mer quelques centaines de leurs combattants, et vengea ses frères d'armes tombés neuf mois auparavant. Peu à peu, les traces de l'insurrection disparurent dans sa subdivision; les tribus regagnèrent leurs territoires abandonnés et reconnurent son autorité. Il ne cessait d'ailleurs de diriger des colonnes, tantôt vers le nord de Tlemcen pour assurer la rentrée des impôts, tantôt vers le sud pour amener à la soumission les tribus récalcitrantes. Sa santé étant ébranlée par les fatigues qu'il s'était imposées, le général Cavaignac alla se reposer en France. Il revint au moment même où Abd el Kader, traqué par lés Marocains, se rejetait vers l'Algérie, et eut la joie de recevoir avec La Moricière, le 23 décembre 1847, la soumission de celui qu'il avait combattu. Nommé en janvier 1848 commandant par intérim de la division d'Oran, pendant que La Moricière allait prendre part aux travaux parlementaires, il s'y trouvait lorsque la Révolution de 1848 fit proclamer la République. Il fut aussitôt nommé, le 25 février, gouverneur général de l'Algérie, et promu général de division le 28 février. C'était une revanche soudaine et complète contre l'ostracisme qu'il avait parfois éprouvé en raison de ses opinions républicaines. Il devait peu de semaines après, accepter le ministère de la Guerre, exercer en juin la dictature, devenir président du Conseil avec pouvoir exécutif, et se retirer après l'élection de Louis Napoléon contre lui à la Présidence de la République, le 10 décembre. Il était devenu un homme politique. Cavaignac, ainsi jeté dans les luttes des partis au cours de cette seconde partie de sa vie, sut conserver l'estime de tous. Ses ennemis eux-mêmes ont été impressionnés par sa probité, sa fierté, son mysticisme patriotique, son abnégation, son esprit de sacrifice, toutes vertus que rendait d'ailleurs assez bien l'expression profonde de son visage amaigri et mélancolique. Aucun chef n'a plus honoré l'armée d'Afrique par la droiture de sa vie et l'élévation de ses sentiments. Le général Bedeau Bedeau n'est resté en Afrique que dix ans, de 1837 à 1847, et il a cependant joué un rôle important. Sorti de Saint-Cyr en 1820, il fut chargé, en 1836, de former un bataillon de légion étrangère à Pau, pour remplacer ceux que Louis-Philippe avait fait passer au service de la reine Isabelle d'Espagne contre les Carlistes, et partit avec lui pour l'Afrique en 1837; il vit le nombre des engagés s'accroître dans de telles proportions que la formation d'un 2e bataillon fut décidée en août. Sa courageuse conduite au siège de Constantine, où il fut cité à l'ordre, lui valut le grade de lieutenant-colonel de la légion. Ses qualités militaires et une nouvelle citation en juillet 1839, dans les affaires de Djidjelli et de Bougie, le firent nommer colonel en décembre. Placé à la tête du 17ème léger, il servit brillamment en 1840 et 1841 sous les ordres du général Duvivier; il fit particulièrement preuve de sang-froid en 1841, lorsque l'arrière-garde de la colonne fut attaquée au débouché des montagnes, lors du ravitaillement de Médéa, et il repoussa l'ennemi en lui infligeant des pertes sérieuses. Déjà colonel et officier de la Légion d'honneur, à 36 ans, il fut proposé pour maréchal de camp ; il ne put pas être nommé de suite, n'ayant pas les 18 mois de grade exigés par la loi; mais, s'étant fait encore remarquer dans une expédition pour le ravitaillement de Médéa et Miliana, il fut promu général en mai 1841, avant d'avoir 38 ans. Les commandements successifs que reçut alors Bedeau contribuèrent à affermir rapidement sa réputation. Il eut non seulement le commandement d'une colonne mobile de la division d'Oran, constituée à Mostaganem, mais aussi 1e commandement supérieur de la zone maritime de la province. De Mostaganem, il étendit son rayon d'action de manière à recouper celui de La Moricière qui était à Mascara, et réussit en janvier 1842 à porter 100.000 rations à son camarade. Lorsque Bugeaud eut réoccupé Tlemcen en février 1842. il y fit venir Bedeau, en raison de l'importance de cette place. Abd el Kader s'était en effet établi dans le voisinage, soulevant les tribus de la région. A la tête d'une colonne dans laquelle figuraient le général Mustapha ben Ismaël et ses Douairs, Bedeau se porta successivement dans diverses directions, châtiant les tribus qui avaient accueilli Abd el Kader, poursuivant l'Émir lui-même, et infligeant des pertes à ses contingents. Comme la zone de Nedroma restait particulièrement troublée, il parvint à en organiser la défense avec l'aide de fractions indigènes ralliées, Abd el Kader lassé se retira alors dans le Sud. Bedeau profita de la tranquillité qui suivit ce départ pour organiser la région, et pour régler, par une entrevue avec le caïd marocain d'Oudjda, les petits incidents de la frontière. Il conquit rapidement auprès des Indigènes une véritable popularité. L'un des grands chefs de la région écrivait à Bugeaud : « Dans tout le pays de France et dans tout notre pays, personne ne peut être comparé au général Bedeau. Cet homme excelle par sa raison" sa sagesse et sa sagacité dans toutes les circonstances; il sait se rendre agréable à tout le monde. Tout le monde est attiré vers lui et tous sont revenus a lui à cause de son amitié sincère et de sa générosité sans égale. Voilà un homme qui travaille dans vos intérêts et dans les nôtres. » Bugeaud, qui constatait les excellents résultats obtenus, demanda pour lui la cravate de commandeur, en écrivant au Ministre : « Vous savez les services qu'il a rendus dans la province d'Oran, les beaux combats qu'il a livrés, la sagesse et la résolution qu'il a montrées en toute occasion. Je le regarde comme l'une des grandes espérances de l'armée. On trouve peu de têtes aussi bien organisées ». Pour mener à bonne fin son oeuvre de pacification, Bedeau parcourait avec une colonne toutes les parties de sa circonscription. déjouant les manœuvres hostiles, châtiant énergiquement les coupables, accueillant avec bienveillance les incertains. Il montra le même esprit de conciliation avec les Marocains. Sa colonne ayant été attaquée en mars 1843, par les gens du caïd d'Oudjda accompagnés de partisans d'Abd el Kader, il riposta, mais sans poursuivre ses agresseurs; il se borna à écrire au caïd d'Oudjda, à qui il fit reconnaître, au cours d'une entrevue, les torts de ses administrés. Il fut cependant obligé d'user de rigueur contre quelques tribus qui refusaient de reconnaître son autorité. En 1844, Abd el Kader s'étant établi près de la frontière marocaine, Bedeau dut créer au sud de Tlemcen le poste de Sebdou, La Moricière, qui commandait à Oran, obtint de Bugeaud la création de Lalla-Maghrnia à l'ouest, et s'y porta : les travaux d'installation du poste commencèrent dès les premiers jours de mai. Aussitôt les Marocains s'émurent ; la Guerre Sainte fut prêchée ; le chef marocain El Guenaoui ayant mis les Français en demeure d'évacuer Lalla Maghrnia, La Moricière répondit par un refus. Les Marocains attaquèrent le 30 mai le camp français à Sidi Aziz, et furent vigoureusement repoussés. Bugeaud, accouru le 12 juin avec des renforts, proposa à El Guenaoui une entrevue avec Bedeau. Pendant que Bedeau et El Guenaoui, respectivement suivis à quelque distance en arrière des troupes d'appui, discutaient entre eux, les Marocains ne purent s'empêcher de « faire parler la poudre », et tirèrent sur les troupes françaises, celles-ci faisant preuve d'une extrême modération, ne ripostèrent pas, évitant une issue tragique à l'entrevue. Bedeau conserva une ferme contenance, en face d'El Guenaoui qui prétendait imposer la Tafna comme frontière d'Algérie; Guenaoui se sépara de lui en lui disant : « C'est la guerre ». En effet, dès que Bedeau eût rejoint La Moricière et qu'ils eurent repris la direction de leur camp, ils furent attaqués par des cavaliers indigènes. Bugeaud, arrivé bientôt avec des renforts, infligea aux assaillants une sanglante punition. Mais, n'ayant pas pu obtenir de réponse satisfaisante de Guenaoui, il entra à Oudjda le 19 juin. Cette leçon n'ayant pas porté ses fruits, il dut livrer la bataille de l'Isly, pendant laquelle Bedeau commanda les six bataillons de la colonne le droite, prenant une belle part à la victoire. Le commandement de la province de Constantine, que Bedeau reçut en octobre 1844, quelques semaines après son grade de lieutenant-général, lui permit de donner la mesure, dans une région plus calme, de ses grandes qualités de colonisateur et d'administrateur. Dès son arrivée à Constantine, il s'occupa des travaux de routes, de l'état sanitaire des postes, de la propreté de la ville, de la sécurité des tribus et des convois. Il chercha à améliorer les relations avec les Indigènes, rédigeant un rapport spécial relatif à la constitution et à la protection de la propriété indigène. Il se trouvait en congé à Paris en octobre 1845, lorsque la nouvelle du désastre de Sidi Brahim le fit rappeler; il prit le commandement de la colonne de Médéa destinée à assurer le calme dans la province d'Alger. Revenu en 1846 dans la province de Constantine, il rédigea un Projet de colonisation pour la province de Constantine, qui fut édité avec celui qu'avait rédigé La Moricière pour la province d'Oran. Ce projet contenait le détail précis des travaux à exécuter : irrigation; canalisation; construction de routes; assainissement; création de villages; avec devis des dépenses. Bedeau voulait « une population européenne nombreuse, active, industrielle », et, pour l'attirer, désirait avant tout établir la sécurité. Il n'était nullement, pour cela, hostile aux Indigènes et ne voulait pas leur imposer « une domination violente » ; il désirait, au contraire, en respectant leurs usages, leurs mœurs, leur religion, leur amour-propre, « modérer le froissement primitif que la puissance étrangère apporte avec elle partout où elle s'établit » ; il entendait leur procurer progressivement du bien-être, et faire d'eux non des ennemis, mais des associés. « je crois, concluait-il, à la possibilité de l'association des intérêts européens et indigènes : le premier prospérant par la supériorité de son industrie; le second bénéficiant par le prix de revient économique de ses productions perfectionnées ». Bugeaud ayant résigné ses fonctions de gouverneur général en 1847, Bedeau exerça pendant quelque temps l'intérim jusqu'à l'arrivée du duc d'Aumale ; puis, après avoir repris en octobre le commandement de la province de Constantine, il obtint un congé pour la France à la fin de novembre. Il se trouvait à Paris lorsque la Révolution de février 1848 éclata. Il devint dès lors, comme plusieurs de ses camarades, un homme politique. Exilé en 1852 par Louis-Napoléon, il ne revint en France qu'en 1859 et mourut en 1863. Tous ceux qui ont approché et connu Bedeau ont éprouvé pour lui une profonde estime et une réelle sympathie. Brave, énergique, bienveillant, méthodique, modeste, il a accompli son devoir sans chercher à faire valoir sa personne, et surtout, ce qui a été rare chez ses contemporains, sans chercher à nuire aux autres ni à diminuer leurs mérites. (1)Voir: Sidi-Brahim, par le Général Paul Azan, Paris, librairie Lavauzelle, 1930