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   fut somptueuse. Sur le mur lézardé de la Porte Nord; persistent un losange recticurviligne et deux minces bandes d'encadrement émaillé. Sur un pan à demi croulant de la Porte de la Mer, entrelacs floraux ou losanges d'une facture souple et aisée. M. Marçais situe ce décor dans le second quart du XIVème siècle (fig. 54).

C'est à Honaïn qu'à plusieurs reprises, entre deux ou trois de ses trahisons, à la veille d'être pendu ou ministre passe le grand Ibn Khaldoun. Près de la Porte de la Mer, il combine sans doute de nouvelles intrigues. Il murmuré les phrases musicales dont il enchante les rois. Que de tours ne joue-t-il pas à ces pauvres princes de Tlemcen ! Et il doit déjà méditer les vastes généralisations de ses " Prolégomènes ". Il prend dans son oeuvre une gravité de Montesquieu berbère, dans sa vie le picaresque d'un Scapin politique. Son âme a la souplesse d'une arabesque de Sidi-Lhaloui : fuyante, elle glisse et, comme son génie, échappe au temps.

 

Si, rassemblant maintenant les traits épars dans cette étude, nous essayons de caractériser l'art de Tlemcen, il nous faudra indiquer avant tout ce qu'il doit à l'Espagne berbère. Car il s'agit ici, non de l'Espagne arabe, mais d'une Espagne où l'Islam ne se maintient que grâce aux rudes soldats de Berbérie. La force militaire vient du Maghreb à l'Espagne; l'art vient de l'Espagne au Maghreb. Et de cet échange séculaire naîtra le style andalou qui, pendant 75 ans, à Grenade comme en Berbérie, poussera sa suprême floraison. Style somptueux, délicat, fragile, foisonnant, où la palmette décorative définitivement stylisée envahit les panneaux; où les rinceaux développent de longues tiges d'une flexibilité et d'un enroulement merveilleux; où la géométrie ornementale assemble ses épurés les plus audacieuses. Style prodigue de céramique, surtout à partir du XIIIème siècle, avec les invariables couleurs : blanc, brun accusé jusqu'au noir, jaune parfois verdâtre, vert sombre ou hyalin, palette classique où, vers 1350, apparaîtra le bleu. Toutes les trouvailles de la décoration sur plâtré, toujours sans relief, mais d'un découpage alambiqué et précieux. Toutes les variétés de l'arcade, mais avec une dilection secrète de l'arc outrepassé qu'avec élégance l'architecte brise au sommet. L'art de Grenade, de Fez, de Tlemcen a l'horreur du vide; il fait grimper sur les

      

panneaux nus sa végétation touffue. Il ciselle de ses détails les moindres parties de l'espace comme la musique hispanomoresque enlace de ses arabesques toutes les secondes du temps.
Grenade, Fez, Tlemcen, trois hauts sommets de l'art andalou et de l'art musulman occidental. Mais déjà, les fines de la prochaine décadence se précisent. La palmette a perdu ses oeillets; elle s'amenuise, devient lisse, se noie dans l'anonymat du " motif ornemental ". La géométrie, d'abord limitée, va envahir les panneaux. L'art de Tlemcen mourra de ce qui fit sa force: le dédain hautain de la vie. Il s'enfermera de plus en plus dans son abstraction froide. Il tentera de raffiner ses formules, il ne les renouvellera plus. Elles s'étioleront comme des fleurs privées d'eau. Elles se symboliseront dans cette palmette qui fut d'abord une acanthe grecque et qui deviendra peu à peu un débile élément d'entrelacs. Elles se cloîtreront dans la logique imperturbable de ces polygones de céramique où la déduction linéaire se poursuit à l'infini. Comme la philosophie musulmane, comme l'odelette chère à Grenade, comme la langueur de la musique hispano-moresque, elles périront de s'être confinées dans l'ombre des mosquées et de n'avoir pas aspiré largement le grand air libre.

 
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