Pages précédentes L'ART ARABE  AL. GAYET LIVRE IV. - CHAPITRE II. Pages suivantes
   Retour page Table des matières  
   
  
Fig. 83 et 84. - Vitraux du XVème siècle.
 

Mais, par la nature du vitrail, les pleins l'emportent de beaucoup sur les vides; et sous la lumière translucide du ciel pâle de l'Orient, les rayons filtrés à travers le rouge des tulipes, le violet des jacinthes, le jaune des oeillets, le blanc des anémones et le vert des cyprès tombent, dans la nef en poudroiement d'opale, d'or, de pourpre, de saphir et d'émeraude ; et c'est un jour si assourdi et si mélancolique! Resserré dans l'étroitesse de l'évidement, il semble venir de si loin ! Sous les coupoles des tombeaux, son charme devient étrangement doux et triste; et à l'éprouver, on se prend à regretter que l'architecte n'ait pas davantage fermé ses nefs, pour les éclairer de pareils vitraux.

 

III. - LA PHILOSOPHIE DE L'ART ARABE DU VIIIe SIÈCLE DE L' HÉGIRE (XIVe SIÈCLE).

 

Et maintenant, quelles sensations traverseront l'âme dans un tel temple ? L'élancement des voûtes, la profondeur des nefs, le jour tombant librement jusqu'au cœur du sanctuaire éveilleront d'abord en elle l'idée d'un mystère calme, qu'aucun doute ne trouble, 

    

 

    qu'aucun drame ne traverse, qu'aucune souffrance ne torture, qu'aucune épouvante ne borne, éternel, immuable, dans sa sérénité.
Puis, la langueur du décor la pénètre : " Il n'est âme si revesche, a dit Montaigne, qui ne se sente touchée à ouïr le son dévotieux des orgues dans la vastité de l'église. " C'est une impression analogue que donne l'ornementation de la mosquée au croyant ou à l'infidèle. A travers le réseau des lignes polygonales, " la pensée - ainsi que je l'ai dit déjà - erre sans savoir où se reposer, comme sous un labyrinthe. Quelle que soit la route qu'elle prenne et le circuit qu'elle décrive, elle arrive à un point identique à celui dont elle est partie, et quoi qu'elle fasse, elle y revient. " Elle sent alors l'inéluctabilité des choses et ces lois des devenirs éternels qu'avait si bien comprises la vieille Égypte. A chaque pas, cette impression monte vers elle du sol, descend des murs, tombe des voûtes et l'enveloppe de toutes parts. Chaque polygone, chaque arabesque, chaque inscription la lui répète; et, vaincue, elle se plonge dans ce mysticisme doucement résigné qui de tout temps a été le fond de la croyance orientale.

C'est par là que les Arabes furent de puissants artistes. Par des rapports de lignes, ils sont arrivés à dire les sensibilités cachées aux plus profonds replis de l'âme humaine; et, ce problème résolu, ils ont su affiner encore cette expression jusqu'à l'en rendre douloureuse. Le procédé mis par eux en oeuvre pour y arriver a été fort simple. Parmi les formes abstraites, ils ont choisi celles qui par leur régularité sont toujours symétriques, et par conséquent toujours semblables à elles-mêmes; et de là une idée d'éternité, d'autant plus forte que la figure sera un plus grand nombre de fois reproduite. Mais ces figures, ils les réunissent par une infinité d'assemblages où, des retours périodiques les ramènent régulièrement à des places fixes; et de cette disposition naît l'idée d'évolutions accomplies, d'autant plus sinueuses et d'autant plus subtiles que le détail de l'assemblage sera plus ténu. 

 
Pages précédentes   Retour page Table des matières   Pages suivantes