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en augmentant de beaucoup la force des ouvrages, et en améliorant leur disposition.

Son commandement très court laissa, sous ce rapport, les plus honorables souvenirs. Le 10 juin, il le remit au lieutenant-colonel d'état-major Girod, et alla reprendre à Alger son poste de directeur des fortifications.

Le nouveau chef ne séjourna qu'un peu plus de trois mois à Bougie, mais il y laissa trace en se prononçant le premier pour l'abandon complet du poste. La prise de possession en avait été blâmée plusieurs fois, comme nous l'avons vu, et plus récemment encore, en février 1835, par le lieutenant-général Rapatel, à la suite d'une courte inspection. Néanmoins, il y avait encore une certaine distance de cette critique rétrospective à un projet d'évacuation. L'intervalle fut comblé par les déceptions cruelles du traité. Non seulement son existence ne ralentit en rien les attaques des tribus voisines, mais Si Saâd, qui s'était obligé à les combattre dans ce cas, finit tout au contraire par les imiter. Dans les mois de juillet, d'août et de septembre, ses cavaliers recommencèrent à couvrir la plaine, à diriger des tentatives sur le troupeau, et par une fatale coïncidence, nos moyens de répression diminuaient de jour en jour. Le bataillon de la légion étrangère s'embarquait le 10 juillet pour l'Espagne, sans être remplacé ; la situation de l'hôpital s'élevait insensiblement jusqu'à atteindre, au mois de septembre ; le chiffre de 880 hommes. Il semblait donc qu'on eût essayé sans succès toutes les voies possibles, celle des négociations comme celle des armes ; dans la dernière, tantôt la défense passive, tantôt les retours agressifs ; et, en fait d'offensive, alternativement les moyens de rigueur, ou une générosité palpable à ménager ce qu'on pouvait détruire. Tout avait échoué ; l'occupation se retrouvait après deux ans au même point qu'après deux jours : bloquée dans ses ouvrages, réduite à une surveillance, à une défensive de tous les instants, et en outre, dénuée d'avenir, odieuse dans les rangs de l'armée, l'affaiblissant par une diversion stérile.

    

 

   
Ces griefs agirent à tel point sur l'esprit du maréchal Clausel, nouvellement nommé gouverneur, qu'il annonça le 12 septembre, par un avis confidentiel, l'évacuation prochaine de Bougie. Toutefois, avant de prendre un parti si tranché, si irrémédiable, et que le colonel Lemercier combattait avec de puissantes raisons, il résolut de voir par ses propres yeux. Le 28 octobre, il débarqua du Styx sur la plage de Bougie.
 

V.

 
Depuis un mois déjà, le commandant supérieur n'était plus le lieutenant-colonel Girod, mais bien le lieutenant-colonel de la Rochette, du 63e de ligne. Le pouvoir chez nos principaux ennemis venait également de passer en d'autres mains. Si Saâd-Oulid-ou-Rabah était mort ; son frère, Mohammed-ou-Amzian, était devenu le personnage le plus important du pays. Il paraissait enclin à renouer avec nous les négociations astucieuses de son prédécesseur.

Le maréchal Clausel examina les lieux, et ce fut lui qui décida quel allait être le sort de Bougie pendant une douzaine d'années. Comme la conquête entière du littoral entrait dans ses prévisions, l'abandon d'un poste important où l'on s'était déjà fortifié à grands frais lui parut trop impolitique. Mais il était en même temps homme de guerre : il sentait la nécessité de mobiliser les troupes dans sa main pour frapper les coups décisifs, et n'en voulait disséminer que le moins possible sur des points secondaires ou stérile ? Or, qu'était celui-ci ? Stérile, puisqu'un corps de 4,500 hommes n'avait pu s'y créer, d'influence au-dehors ; secondaire, car les embarras pressants de notre domination existaient partout ailleurs que dans la Kabylie.

En conséquence, conserver Bougie, réduire au minimum l'effectif nécessaire à sa défense, tels furent les principes posés alors, et dont on ne devait plus se départir jusqu'à la conquête intérieure du pays.

 
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