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II.

 
Avant d'aller plus loin, arrêtons-nous pour jeter un coup d'œil, sinon vers les profondeurs mystérieuses du pays kabyle, au moins sur la banlieue de Bougie, sur les populations les plus intéressées, dans le brusque changement qui venait de s'accomplir.

Le Gouraya règne à l'est et au nord de la ville, se lie dans l'intérieur au mont Toudja, et, par son prolongement en mer, donne naissance au cap Carbon. Au sud, une jolie baie s'arrondit comme pour recevoir la Summam. Celle-ci vient alors d'achever son cours à travers une plaine agréable, mais d'étendue médiocre, dont tous les horizons du côté de la terre offrent un rude profil de montagnes.

Bougie, suspendue entre des rochers qui semblent prêts à l'engloutir et des vagues qui rongent ses bases, ne communique avec la riante vallée étendue sous ses yeux que par une langue de terre assez étroite. Ce sont donc les gens de la montagne qui forment son voisinage le plus direct, ajoutons le plus redoutable, en raison de l'état des lieux et d'autres circonstances accidentelles. Il se trouve en effet que la tribu des Mzaïas, en possession de ces hauteurs, passe pour belliqueuse, pauvre et sauvage entre toutes. Son territoire est soigneusement cultivé ; mais les parcelles de terre végétale n'y abondent pas assez pour nourrir tous les habitants. Aussi un certain nombre s'en va travailler au-dehors, et le reste ne recule jamais devant aucune entreprise de vol, de guerre ou de pillage. Ils peuvent mettre huit cents fantassins sous les armes. La plaine appartient à deux tribus, les Beni-bou-Msaoud et les Beni-Mimoun, comptant chacune de cinq à six cents fusils avec un petit nombre de cavaliers. On trouve là plus de prospérité ; par exemple : de beaux troupeaux, des céréales, du lin, beaucoup de ruches à miel, des oliviers, quelques villages assez florissants.

    

 

   
Toutefois, comparées aux populations centrales de la grande Kabylie, ces deux dernières tribus ne pouvaient passer pour riches, ni aucune des trois pour puissante. Elles n'étaient réunies d'ailleurs par aucun lien fédéral, qui dût interdire à notre politique l'espérance de les diviser profondément.

Mais, derrière les Beni-bou-Msaoud, il existait un soff réellement considérable, ayant son centre à Tamzalet sur la Summam, et les Ouled-Abd-el-Djebar pour tribu principale. Son chef était précisément ce Saâd-Oulid-ou-Rabah qui nous avait offert son alliance au prix d'un monopole commercial, et qui ne tardera point à renouer avec nous d'autres négociations.

 

III.

 
Le successeur du général Trézel était le chef de bataillon Duvivier, désigné dès le principe pour commander Bougie et même pour en opérer la prise de possession. Le maintien de ce choix, quelques talents qu'on supposât d'ailleurs à celui qui en était l'objet, semblait indiquer la pensée de réduire le plus tôt et le plus possible l'importance du corps d'occupation détaché en ce point. Toutefois, vu l'état des choses, on maintint l'effectif à 5,000 hommes ; il fut même élevé plus tard à 4,000 et 4,500. C'était, à proprement parler, l'emploi d'un officier-général. Au reste, quelques mois après son arrivée, le commandant fût élevé au grade de lieutenant-colonel.

La place, comme nous l'avons dit, se trouvait à l'abri d'une insulte, mais elle ne possédait en propre qu'un petit rayon de terrain montueux sous le feu des blockhaus, et ce terrain n'offrait ni parcours, ni pâturages au troupeau de la garnison. L'absence de toute relation commerciale avec l'intérieur menaçait de durer longtemps ; il fallait tirer de la mer tous ses moyens de subsistance, et les bestiaux, déjà fort affaiblis par une traversée, 

 
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