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il est permis de croire qu' en y persévérant, qu'en laissant croître son audace avec ses succès, le commandant supérieur fini par dompter les tribus les plus proches, surtout celle des Mzaïas, qui tenait la clé de nos relations avec l'intérieur. Malheureusement le système d'occupation paraît se modifier tout-à-coup. Durant les sept mois qui suivent, on se contente d'opposer une défense passive aux attaques réitérées de l'ennemi ; nulle sortie pour le refouler, nul coup de main sur les villages pour en tirer vengeance ; on multiplie les ouvrages défensifs : camp supérieur, camp inférieur ; comme si l'on eût réduit ses prétentions au rôle modeste de tenir, le plus pacifiquement possible, un poste éternellement bloqué du côté de la terre. Deux circonstances contribuèrent sans doute à nous faire entrer dans cette seconde phase.

Le colonel Duvivier s'était occupé sérieusement d' ouvrir des relations politiques avec les indigènes du voisinage. Il avait pris, pour intermédiaires auprès d'eux, le frère de Boucetta, l'iman de la mosquée de Bougie, appelée Ben Rabdan, et ce même sieur Joly, que nous avons déjà vu mêlé dans l'intrigue de Saâd-Oulid-ou-Rabah. Bientôt, il en fut très-peu satisfait, et les suspecta de travailler plutôt dans leur intérêt particulier que dans celui de la cause publique, ce qui n'étonnera personne. Sur ce motif, il les expulsa de Bougie. Non seulement il se priva ainsi des services que l'on peut encore tirer, même des agents les moins sûrs, mais il renonça pour l'avenir à toute négociation, surtout avec Si Saâd-Oulid-ou-Rabah. Ce dernier, comme l'expérience l'a prouvé par la suite, était assez sincère dans ses ouvertures ; seulement placé entre certaines vues ambitieuses ou cupides qui pouvaient lui conseiller notre alliance, et l'opinion de ses concitoyens, si ardente à la réprouver, il se trouvait dans une situation très-équivoque dont il fallait lui tenir compte. Le colonel Duvivier passait pour avoir étudié très-profondément la nationalité arabe : mais celle des Kabyles en est tellement éloignée, comme nous l'avons fait voir, que la connaissance de l'une pouvait entraîner aisément à de fausses inductions sur l'autre. 

    

 

   
Par exemple, dans la conjoncture actuelle, rien ne ressemblait moins à l'initiative absolue du grand chef arabe féodal, que l'assujettissement de l'amine kabyle au vœu de ses électeurs.

D'une autre part, l'état sanitaire du petit corps d'occupation s'aggrava insensiblement. Quoique le site de Bougie fût réputé très-sain, les maladies sévirent avec une intensité terrible, pendant toute la durée des chaleurs; une situation journalière des malades, à la fin du mois de juillet, donna : 337 à l'hôpital central, 84 à l'hôpital externe, 687 aux infirmeries régimentaires ; total : 1,088, c'est-à-dire, plus du quart de l'effectif.

Le service intérieur, devenu très-considérable par le développement des ouvrages, absorbait une partie des valides ; on trouvait donc fort peu de monde à déployer en rase campagne, et le moral avait quelque peu subi l'influence de toutes ces causes énervantes.

Ainsi, l'improbabilité d'arriver à la paix par la continuation d'une guerre offensive et l'affaiblissement trop réel de la garnison, joints au scrupule de la fatiguer encore plus , tels furent les premiers motifs qui condamnèrent à la stérilité notre occupation de Bougie. Les Kabyles, eux, ne se rebutaient pas : leurs agressions les plus fâcheuses furent celles du 5 juin, du 23 juillet et du 9 octobre.

Déjà ils s'y étaient essayés le 8 mai, en se portant sur les blockhaus supérieurs ; mais un feu bien nourri et surtout un violent orage les avaient dispersés. Le 5 juin, leur démonstration eut lieu du côté de la plaine. On évalua le nombre des assaillants à 3,000 fantassins et 400 cavaliers. A la nuit tombante, quelques-uns des plus déterminés franchissent le fossé de la redoute de la plaine, escaladent le parapet et vont se rendre maîtres de l'ouvrage ; plusieurs canonniers sont déjà tués sur leurs pièces 

 
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