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" Devenus agents d'une nation noble et généreuse, notre tâche nous paraîtra facile et douce ; et combien elle est plus conforme aux règles de notre religion !

" Noble général, nous sommes certains de marcher dans la voie droite en te prenant pour modèle ; tu as été terrible avec tes ennemis, tu les as écrasés, tu as fait courber sous ton bras victorieux les têtes des plus audacieux, et aussitôt après le victoire, tu as oublié ta force pour ne plus songer qu'à la miséricorde, la plus belle qualité que Dieu puisse donner aux sultans.

" Tu nous as donné l'exemple d'une bonté que nous ne pouvions comprendre, en pardonnant à une tribu entière qu'un signe de ta prunelle pouvait réduire à la misère et jeter dans l'esclavage ; Dieu te récompensera de tant de modération par la soumission et le bonheur de ceux qu'il t'a appelé à commander.

" Ton arrivée dans le pays des Arabes a été le lever d'un astre heureux ; tu as renversé la muraille qui s'élevait entre les chrétiens et les musulmans, et tous tes ennemis ont été forcés de reconnaître que le doigt de Dieu t'avait désigné pour les gouverner ; tous ont entrevu par toi des jours de paix et de tranquillité ; tous t'ont spontanément décerné le surnom béni de Fortuné (Bou-Saâd, père du bonheur).

" Je te promets ici devant le muphti et le cadi, nobles représentants de notre religion, je te jure au nom de tous les chefs ici présents, que nous serons fidèles à ton roi, que nous obéirons à tes ordres et que la trahison n'entrera jamais dans nos cœurs.

" Que Dieu répande ses grâces et ses faveurs sur tous ses serviteurs qui ont des intentions pures et qui abhorrent le mensonge ! Que Dieu protège le roi des Français ! "

    

 

   
Après ce discours, la gandoura, les burnous et les riches présents furent distribués au son de la musique, puis l'assemblée se sépara.

Rentré dans sa province, Ben Mahy-ed-Din ne tarda pas à justifier, autrement qu'en paroles, la confiance du gouvernement français.

Le titre de khalifa du Sebaou, qu'on lui avait donné, ne représentait en rien son véritable commandement, puisque aucune tribu du Sebaou ne nous avait encore fait sa soumission. L'unique but de cette mesure, était d'opposer un rival à Ben-Salem, qui tenait précisément d'Abd-el-Kader la même dénomination.

Au reste, ces deux haines d'Arabes n'avaient pas besoin d'être attisées. Or ne tarda point à savoir qu'un agent de Ben-Salem, Abd-el-Kader-Btitt, avait été saisi dans le camp de Ben Mahy-ed-Din, où il s'était introduit avec le dessein d'assassiner ce chef. Des cavaliers l'amenaient à Alger, lorsque l'habile malfaiteur parvint à rompre ses liens et à s'échapper de nuit en emportant, comme trophée, la djebira (1) d'un de ses gardiens.

Ben Mahy-ed-Din avait une autre manière de tuer son ennemi. L'ordre établi partout, la parfaite sécurité des routes, les transactions commerciales reprises sur une grande échelle avec Alger, firent bientôt succéder la richesse et la satisfaction aux misères dont les tribus n'avaient cessé de gémir sous l'autorité de Ben-Salem. Le discrédit de ce dernier fut aussi prompt qu'irréparable ; mais notre khalifa ne gagnait point tout le terrain qu'il faisait perdre à son prédécesseur. Des obstacles nombreux l'entouraient et il était réduit à les combattre, sans aucune coopération de notre part ; pas un poste français, pas un de nos 

 

(1) Djebira : sac en cuir que le cavalier suspend à l'arçon de sa selle.

 
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