Le 24 mai, les trois divisions parties de Tizi-Ouzou commencèrent
à gravir les rudes escarpements du massif des Aït-Iraten ; la
distance à franchir n'était que de quelques kilomètres, mais la
différence de niveau atteignait plus de 800 mètres. Les Kabyles,
profitant avec un instinct merveilleux des obstacles naturels, y
avaient ajouté une série de retranchements et défendirent
énergiquement leurs villages, qu'il fallut enlever à la
baïonnette après des combats corps à corps. Cependant le soir les
troupes occupaient les crêtes jusqu'à une portée de canon de
Souk-el-Arba.
La lutte recommença le 25 avec le même acharnement. Mais, vers
trois heures de l'après-midi, on vit les Kabyles se disperser dans
toutes les directions en déchargeant leurs fusils; c'étaient les
contingents fournis par les autres tribus que les Ait-Iraten
renvoyaient chez eux. Le lendemain, eux-mêmes, ayant perdu 1 800
hommes, entraient en pourparlers et faisaient leur soumission. Ils
reconnaissaient l'autorité de la France, s'engageaient à payer une
contribution de guerre et à livrer des otages; ils consentaient à
ce qu'on élevât des bordjs dans leur pays; dans ces conditions,
ils obtenaient de conserver leurs institutions municipales, leurs
djemaâs, leurs amins et leurs kanouns, auxquels ils étaient si
passionnément attachés.
Randon décida d'élever à Souk-el-Arba un fort permanent,
auquel il donna le nom de Fort-Napoléon; c'était " une épine
plantée au cœur de la Kabylie n, qui verrait ainsi gravée sur son
sol notre volonté de conserver notre conquête. Le 14 juin, jour
anniversaire du débarquement des Français à Sidi-Ferruch, la
première pierre fut posée et avant l'automne, l'enceinte et le
casernement étaient terminés. En dix-huit jours, une route de 25
kilomètres, dans ce pays prodigieusement difficile, fut construite
de Tizi-Ouzou à Souk-el-Arba sous la direction du général de
Chabaud-Latour, travail qui compte parmi les plus beaux qu'ait
accomplis l'armée d'Afrique.
La tribu la plus puissante avait posé les armes ; d'autres
encore restaient debout et le 24 juin nos troupes se remettaient en
mouvement. Les Kabyles s'étaient concentrés à Icheriden, village
qui barre le passage de l'Arba des Aït-Iraten au Sebt des
Aït-Yahia ; ils y avaient élevé des retranchements faits avec
beaucoup de soin et d'intelligence; Mac-Mahon livra là un des plus
rudes et des plus sanglants combats qu'il y ait eu en Afrique. Le
lendemain, les divisions Yusuf et Renault s'emparaient des villages
des Aït-Yenni sans rencontrer beaucoup de résistance, en même
temps que la colonne Maissiat faisait son apparition au col de
Chellata. Les tribus, acculées au Djurjura, n'avaient plus qu'à se
soumettre. Les dernières qui firent parler la poudre furent les
Aït-Ithourar, les Illoul-ou-Malou et les Illiten, les plus sauvages
du Djurjura, qui habitent à l'est du col de Tirourda.
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