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  L'ALGÉRIE DE 1870 à 1890  
     
   Il n'en fut pas ainsi et nombre de communes de plein exercice eurent une population indigène qui dépassait de beaucoup le chiffre de l'élément européen. Bir-Rabalou, par exemple, comptait 351 Européens et 6 701 indigènes; Rovigo, 640 Européens et 9 102 indigènes ; Bizot, 209 Européens et 10 663 indigènes ; Condé-Smendou, 405 Européens et 13 949 indigènes. Les conseillers municipaux, qui ne tenaient leur mandat que d'une petite minorité de la population qu'ils étaient censés représenter, étaient nécessairement portés à sacrifier les indigènes aux intérêts de cette minorité.

La population musulmane avait, il est vrai, quelques représentants dans l'assemblée municipale; mais le corps électoral, très restreint, ne se composait guère que de chaouchs, de gardes champêtres, de petits employés de l'État ou de la commune. Les élus étaient le plus souvent des fonctionnaires. Enfin le décret du 7 avril 1884 avait refusé aux conseillers indigènes le droit de participer à l'élection des maires, qui leur était reconnu sous l'empire de la législation antérieure. Dans ces conditions, la représentation municipale des indigènes était une pure fiction. Un million de musulmans n'étaient plus ni surveillés, ni administrés, au grand préjudice de leurs véritables intérêts comme des exigences de la colonisation française. Le gouverneur général, pris entre les influences locales et l'indifférence des bureaux ministériels, était impuissant à faire prévaloir les exigences de l'intérêt général et les vues de la politique nationale.

Au développement désordonné des communes de plein exercice venaient se joindre les maux causés par l'application de la loi de 1873 sur la propriété indigène et les conséquences qu'elle entraînait. Quand on voulut délivrer des titres de propriété aux intéressés, on s'aperçut qu'ils n'avaient pas d'état civil; la loi du 23 mars 1882 leur en imposa un. Les litiges concernant les immeubles soumis à la loi française furent soustraits à la juridiction du cadi. On alla plus loin et en vertu des décrets de 1884 et de 1889, le cadi cessa d'être le juge de droit commun en matière musulmane; cette qualité appartint désormais au juge de paix, comme c'était déjà le cas en Kabylie depuis 1874. Sans doute, les cadis avaient la réputation d'être vénaux et concussionnaires, mais ils avaient l'avantage d'offrir aux indigènes une procédure simple et peu coûteuse. Il n'était pas sans inconvénient de faire appliquer la loi musulmane par de jeunes magistrats français qui souvent la connaissaient mal et ignoraient la langue des plaideurs. Les populations se trouvaient ainsi livrées à la tourbe des agents d'affaires.
C'était l'époque où l'on s'imaginait qu'il suffisait d'étendre la loi française aux indigènes pour en faire des Français.

 
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