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Pour nous rendre à Cherchell et au
" tombeau de la Chrétienne ", que nous désirions
vivement connaître, nous prîmes la route supérieure de
Staouëli en passant par les villages d'El-Biar et de Cheraga.
Nous eûmes bientôt perdu de vue les fermes plantureuses et
les riches vignobles des trappistes, et nous nous trouvâmes,
comme à l'ordinaire, au milieu d'un pays désert et stérile,
jusqu'à ce qu'avant traversé un joli pont sur la rivière
Oued-Mazafran, nous échangeâmes la vue des palmiers nains
pour celle d'immenses champs de blé, de tabac et de coton.
Nous passâmes la nuit à Koléah, jolie petite ville perchée
sur une des sommités de la chaîne du Sahel, qui domine la
grande plaine de la Mitidjah du côté de Blidah. On y
remarque une petite mosquée, une fontaine pittoresque, une
" koubba " ombragée de palmiers, et un cyprès dont
la semence fut, diton, rapportée de la Mecque. Après avoir
retenu les deux seules chambres de l'auberge de Koléah, nous
changeâmes de chevaux pour aller au " tombeau de la
Chrétienne ", à environ six lieues de distance. La
route nous parut fort monotone avec ses lentisques et ses
sempiternels palmiers nains ; elle n'était égayée çà et
là que par quelques " gourbis " arabes, remplis
d'indigènes qui surveillaient leurs troupeaux tout en buvant
du café : ils étaient là, assis sur leurs talons, gardant
un morne silence ; leurs visages bronzés se laissaient seuls
entrevoir sous les plis volumineux de leurs burnous. Ce pays
sauvage et désert me remplissait malgré moi d'une crainte
vague touchant ce que pourraient bien être les intentions de
ces personnages à l'air farouche et presque menaçant. Les
événements postérieurs nous prouvèrent que nos
inquiétudes n'étaient pas dénuées de fondement : aussi ce
nous fut un soulagement d'apercevoir les grands bâtiments de
ferme de M. M... (l'Anglais dont j'ai parlé précédemment,
et qui venait de s'associer à un colon français), bien que
les hautes murailles à meurtrières de l'enceinte
témoignassent assez de la nécessité où l'on est de se
défendre d'une part contre les incendies et de l'autre contre
les attaques des indigènes. A gauche, s'étend le grand lac
stagnant de Halloula, renommé pour ses sangsues et ses
canards sauvages, et tristement célèbre aussi par les
fièvres que ses exhalaisons fétides engendrent en été.
Comme les fortes pluies récentes avaient
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emporté la route qui conduit au
tombeau, nous descendîmes de voiture pour gravir la colline
à travers d'épaisses broussailles, sous la conduite d'un
guide arabe, que nous louâmes au café maure de l'endroit. Le
sentier était des plus raides et le soleil brûlant. Vu de
loin, le tombeau ressemble à une meule de foin gigantesque.
Il se compose de plusieurs escaliers de cinquante-trois
marches (dont chacune est aussi haute que celles des pyramides
d'Égypte), placés en cercle à environ soixante-quinze
mètres de distance du monument, qui ressemble à un immense
cône surbaissé. Dans l'origine, ce mausolée devait avoir
douze pans ; une porte basse et massive, flanquée de piliers
énormes, probablement restes d'un ancien portique, donne
accès à l'intérieur : c'est l'entrée principale, et encore
faut-il s'aider de ses mains et de ses genoux pour pouvoir
pénétrer dans une grande rotonde, sur laquelle s'ouvrent de
petites pièces destinées à servir de caveaux mortuaires.
Après beaucoup de controverses à ce sujet, je crois qu'il a
été établi d'une manière incontestable que ce monument
bizarre fut construit par Juba II, roi de Mauritanie, vers
l'an 26 avant Jésus-Christ, comme lieu de sépulture pour
lui-même et sa famille. Le nom absurde donné à cet édifice
(tombeau de la Chrétienne) est une corruption de "
Khour-er-Roumia " ou " Khour-Roumin ", qui
signifie " le tombeau des rois et des puissants de la
terre ". Tout naturellement les Arabes, aidés de leur
imagination fertile, nous racontent d'innombrables légendes
à ce sujet, et ils sont convaincus que le tombeau renferme
des quantités fabuleuses d'or et d'argent. Au seizième
siècle, ces histoires parvinrent aux oreilles d'un certain
pacha, qui envoya une troupe d'ouvriers à la recherche des
prétendus trésors ; mais à peine eurent-ils ouvert le
mausolée, qu'ils furent glacés de terreur par l'apparition
d'un fantôme, qui, debout sur le faite et, étendant ses bras
du côté du lac aux eaux stagnantes, s'écria : "
Halloula ! Halloula ! au secours! " Son appel fut entendu
: en un instant, des essaims de moustiques des plus voraces,
et dont la piqûre était mortelle, obscurcirent l'air
environnant ; les ouvriers s'enfuirent, et pour rien au monde
ne voulurent se remettre à l'œuvre.
On nous raconta cette légende pendant que nous nous
reposions
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