|
Heureusement il restait encore
quelques fonctionnaires de l'ancien régime, avec lesquels
nous nous empressâmes de lier connaissance : le vaillant
amiral Fabre la Maurelle et ses deux charmantes filles, qui
habitaient l'hôtel de l'Amirauté, sur le port (cet édifice
a des croisées à treillis vert, comme celles d'un harem, et
renferme une ancienne chapelle, qui servait de prison aux
chrétiens captifs et aux confesseurs de la foi au temps de la
puissance mahométane) ; le premier président, M. Piexey, qui
réunit une science universelle à une connaissance parfaite
de toutes les célébrités du jour ; il demeure avec son
épouse excellente et dévouée dans la plus belle maison
mauresque d'Alger, que leur goût parfait a su encore embellir
de mille manières ; et Mme Yussuf, veuve du fameux général
de ce nom, retirée à Mustapha-Supérieur, dans la charmante
villa dont son mari était si fier, et qu'il avait fait
meubler en bois de thuya provenant de la forêt de
Teniet-el-Had. Aujourd'hui que son foyer est désert, Mme
Yussuf s'adonne uniquement aux bonnes oeuvres : c'est là
seulement qu'elle trouve quelque consolation à sa profonde
douleur, ainsi que dans une ravissante chapelle qu'elle a fait
construire dans son jardin à la mémoire de son époux
bien-aimé.
Nous allâmes aussi voir la maison de campagne du
gouverneur à Mustapha-Supérieur, pour rendre une politesse
à son nouvel occupant (le successeur du maréchal de MacMahon),
qui avait été notre compagnon de voyage depuis Oran. Sa
femme nous montra l'habitation dans tous ses détails : c'est
l'ancien palais des devs d'Alger, une merveille d'architecture
mauresque ; les jardins suspendus sont ouverts au public
certains jours de la semaine ; les murs sont tapissés du
feuillage lilas du " Bougainvillier1 ".
Les palmiers y sont d'une beauté extraordinaire. Nous nous
promenâmes dans une avenue de camélias en fleur : c'est
vraiment un lieu enchanteur.
|
|
1. Plante de la famille des belles-de-nuit,
ainsi nommée par le botaniste Commerson en l'honneur du
navigateur de Bougainville, qu'il avait accompagné dans son
voyage autour du monde. (Note du traducteur.) |
|
|
|
|
Un peu plus bas se trouve
l'habitation où vécut la pauvre Mlle Tinié tout à fait à
l'orientale, entourée de domestiques arabes, avant qu'elle
partit pour cette malheureuse expédition sur la frontière de
Tripoli, qui se termina par son assassinat. Elle se fiait trop
facilement à tous ceux qui l'entouraient : bien que le consul
anglais l'eût avertie du danger qu'elle courait en portant
ses trésors avec elle au milieu de ces tribus à
demi-sauvages, elle fut sourde à ces sages avis, et paya son
imprudence de sa vie. |
|
 |
|
Le vice-consul anglais, M. Elmore,
possède de l'autre côté de la route une charmante
habitation, qu'il a meublée avec tout le confortable qu'on
trouve dans notre pays et qui convient à nos habitudes. Cette
maison, qui est à louer, serait une trouvaille précieuse
pour des malades qui voudraient passer l'hiver en Algérie :
car, quelque délicieuses que soient les maisons à
l'orientale par une chaude journée de printemps ou d'été,
on ne doit point oublier qu'en hiver elles sont extrêmement
froides, qu'il n'y a pas moyen de les chauffer, et que sous ce
beau ciel il y a cependant des jours et des semaines de pluie
et de froid, et alors le feu n'est pas seulement du luxe, il
devient une nécessité absolue. Je n'ai vu que deux
habitations parfaitement organisées à cet effet : la villa
de lady L.-T. et celle de M. Elmore. Ce dernier a transformé
la cour supérieure en salon, en y ajoutant un plafond ; il a
aussi fait construire une salle à manger ornée d'arcades
mauresques d'un goût parfait, et, sans que cela jure le moins
du monde avec le style de la pièce, il y a introduit
d'excellentes cheminées à l'anglaise. Mes lecteurs trouvent
sans doute que je me place ici à un point de vue bien
prosaïque ; mais, pour me justifier, je leur dirai que
j'écris cette page dans l'intérêt des nombreux malades qui
sont venus me consulter depuis mon retour en |
|
|