Que dirai-je maintenant de cette
population mixte qui se coudoie dans les rues étroites ou
flâne dans les bazars, toujours si amusants? Voici d'abord.
les Biskris, qui, de même que les portefaix de
Constantinople, trébuchent, sous des fardeaux qu'un mortel
ordinaire ne pourrait pas même soulever ; les porteurs d'eau
ou Zibanis, dont les gracieux vases en bronze se tiennent en
équilibre sur leurs épaules; les Mzabi, conducteurs d'ânes,
qu'on rencontre assis derrière leurs étalages d'oranges, de
pastèques et d'éventails de feuilles de palmier, ou bien
encore auprès de leurs rôtisseries, dans lesquelles des
" infiniment petits " morceaux de viande cuisent du
matin au soir sur des brochettes, pour le régal des passants
; les Lar'ouatis, ou marchands d'huile, dont les traces se
voient ordinairement sur leurs habits ; les Mzitis, avec
d'énormes sacs de blé, auprès desquels se reposent leurs
chameaux fatigués, qui grognent de temps à autre, et
montrent les dents si on a le malheur de les frôler un tant
soit peu en passant : toutes ces tribus nombreuses et variées
sont classées dans les Guides de l'étranger sous le
nom générique de Berranis. Rien n'est plus amusant à Alger
que de voir cette foule bigarrée formant des groupes
pittoresques et animés à toutes les heures de la journée,
tantôt vendant et achetant à la fraîcheur du matin, avec
une activité extraordinaire; tantôt se reposant à l'ombre
des fontaines, lorsque le soleil ardent de midi a chassé les
Européens dans leurs demeures.
Quant à la société d'Alger, il nous fut impossible d'en
juger : car, en premier lieu, nous étions venues pour notre
santé, et nous cherchions naturellement la tranquillité ; et
en second lieu, c'était une époque de guerre et de crise
révolutionnaire. Mais on m'assura qu'en temps ordinaire, rien
n'était plus agréable que la société militaire de
l'endroit, et je n'eus pas de peine à le croire. Le maréchal
de Mac-Mahon, gouverneur de l'Algérie, et la maréchale, dont
le départ avait laissé de si vifs regrets, s'étaient
montrés d'une extrême bienveillance pour tous les étrangers
qui, comme nous, étaient venus se réchauffer aux rayons de
ce beau soleil d' Algérie et passer " un hiver avec les
hirondelles ".
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