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de fort beaux chevaux; mais ce qui me frappa plus que leur beauté,
ce fut la franchise inattendue de tant de couleurs étranges. Je
retrouvai ces nuances bizarres si bien observées par les Arabes, si
hardiment exprimées par les comparaisons de leurs poètes. Je
reconnus ces chevaux noirs à reflets bleus, qu'ils comparent aux
pigeons dans l'ombre; ces chevaux, couleur de roseau; ces chevaux,
écarlates comme le premier sang d'une blessure. Les blancs étaient
couleur de neige, et les alezans couleur d'or fin. D'autres, d'un
gris foncé, sous le lustre de la sueur, devenaient exactement
violets; d'autres encore, d'un gris très clair, et dont la peau se
laissait voir à travers leur poil humide et rasé, se veinaient de
tons humains et auraient pu audacieusement s'appeler des chevaux
roses. Tandis que cette cavalcade si magnifiquement colorée
s'approchait de nous, je pensais à certains tableaux équestres
devenus célèbres à cause du scandale qu'ils ont causé, et je
compris la différence qu'il y a entre le langage des peintres et le
vocabulaire des maquignons.
« Au centre de ce brillant état-major, à quelques pas en avant de
l'étendard, chevauchaient l'un près de l'autre, et dans la tenue
la plus simple, un vieillard à barbe grisonnante, un tout jeune
homme sans barbe. Le vieillard était vêtu de grosse laine et
n'avait rien qui le distinguât que la modestie même et
l'irréprochable propreté de ses vêtements, sa grande taille,
l'épaisseur de sa tournure, l'ampleur extraordinaire de ses
burnous, surtout le volume de sa tête coiffée de trois ou quatre
capuchons superposés. Enfoui plutôt qu'assis dans sa vaste selle
en velours cramoisi brodé d'or, ses larges pieds chaussés de
babouches, enfoncés dans des étriers damasquinés d'or, et les
deux mains posées sur le pommeau étincelant de la selle, il menait
à petits pas une jument grise à queue sombre, avec les naseaux
ardents et un bel oeil doux encadré de poils noirs, comme un oeil
de musulmane agrandi par le koheul. Un cavalier nègre, en livrée
verte, conduisait en main son cheval de bataille, superbe animal à
la robe de satin blanc, vêtu de brocart et tout harnaché d'or, qui
dansait au son de la musique et faisait résonner fièrement les
grelots de son chelil, les amulettes de son poitrail et
l'orfèvrerie splendide de sa bride. Un autre écuyer portait son
sabre et son fusil de luxe.
« Le jeune homme était habillé de blanc et montait un cheval tout
noir, énorme d'encolure, à queue traînante, la tête à moitié
cachée dans sa crinière. Il était fluet, assez blanc, très
pâle, et c'était étrange de voir une si robuste bête entre les
mains d'un adolescent si délicat. II avait |
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l'air efféminé, rusé, impérieux et insolent. II clignotait en nous
regardant de loin, et ses yeux bordés d'antimoine, avec son teint sans
couleur, lui donnaient encore plus de ressemblance avec une jolie fille. Il ne
portait aucun insigne, pas la moindre broderie sur ses vêtements, et de toute
sa personne, soigneusement enveloppée dans un burnous de fine laine, on ne
voyait que l'extrémité de ses bottes sans éperons et la main qui tenait la
bride, une petite main maigre ornée d'un gros diamant. Il arrivait renversé
sur le dossier de sa selle en velours violet brodé d'argent, escorté de deux
lévriers magnifiques, aux jarrets marqués de feu, qui bondissaient gaiement
entre les jambes de son cheval.
« Aussitôt qu'il aperçut ce vieux grand seigneur et son fils, le petit Ali
fit un mouvement pour se jeter à terre et courir se prosterner devant eux,
mais le lieutenant lui posa la main sur l'épaule; l'enfant étonné comprit
le geste et ne bougea pas.
« Pendant ce temps je regardai ce jeune cavalier à mine impériale au milieu
de son cortège barbare, avec des guerriers pour valets et des vieillards à
barbe grise pour pages; je jetai les yeux sur le charmant Aouïmer, qui me fit
l'effet d'un histrion; puis je considérai assez tristement la tenue du
lieutenant; j'imaginai ce que devait être la mienne pour un oeil difficile en
fait d'élégance, et je ne pus m'empêcher de dire au lieutenant : « Comment
trouvez-vous que nous représentions la France ? »
« Le vieillard passa et nous salua froidement de la main; nous y répondîmes
avec autant de supériorité que nous le pûmes. Quant au jeune homme, arrivé
à deux pas de nous, il fit cabrer sa bête; l'animal, enlevé des quatre
pieds par ce saut prodigieux où excellent les cavaliers arabes, nous frôla
presque de sa crinière et alla retomber deux pas plus loin; le petit prince
s'était habilement dispensé du salut, et son escorte acheva de défiler sans
même jeter les yeux sur nous.
« Les musiciens venaient ensuite marchant sur deux rangs, la bride passée
dans le bras, les uns frappant d'un geste martial sur de petits châssis
carrés tendus de peau, d'autres tambourinant avec des crochets de bois sur
des timbales du diamètre d'un petit tambour, les autres soufflant dans de
longues musettes en forme de hautbois. Puis. arrivaient, sur deux de front et
les deux plus richement équipés tenant la tête, les chameaux porteurs d'atatiches.
C'étaient de grands animaux efflanqués, nerveux, lustrés, presque aussi
blancs que de vrais méhara et marchant, comme disent les Arabes, « du pas
noble de l'autruche ».
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