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peau brune et huileuse a des reflets de métal, où tranchent les
grains blonds d'un collier d'ambre, et le petit carré crasseux d'un
scapulaire; - des pauvresses en haillons, le dos plié sous une
espèce de besace grouillante qui contient leur progéniture ! Des
chiens sloughis, aux poils jaunes et hérissés comme des paquets de
dards, aboient sans cesse contre les mulets et les petits ânes qui
portent les bagages, les provisions, le bois pour les feux de ronde,
les pieux pour les campements. Puis, les longs cols de chameaux se
balancent par-dessus les échines des ordinaires bêtes de somme;
et, à chaque mouvement qu'ils font, les pompons de laine orangée
et verte, qui pendent de chaque côté de leurs mufles, s'agitent en
bouquets de couleurs éclatantes. Alanguies par le tangage continuel
de la course, des femmes voilées se penchent, d'un air dolent,
entre les rideaux rouges et les franges des guitouns...
« Les cols des chameaux s'enchevêtrent les uns dans les autres,
tellement ils sont serrés. Parfois ils s'immobilisent, toute la
voie étant obstruée. Ils repartent du même pas cadencé, et il en
arrive toujours, sans discontinuer. Ils doivent être un millier au
moins. Après les chameaux, ce sont des troupeaux de moutons, où
émergent quelques vaches maigres, flanquées de leurs veaux: bêtes
de boucherie qu'on abattra et qu'on mangera, chemin faisant. Puis
encore des chameaux, des femmes, des enfants à pied, des mulets,
des ânes, - et les éternels chiens jaunes, la queue basse et la
langue pendante. Dominant la foule houleuse, les toiles rouges des
guitouns qui oscillent au rvthme de la marche, se déroulent
majestueusement comme les étendards d'une armée.
« Lorsqu'un embarras quelconque ralentit le défilé, un cavalier
met sa bête à l'amble; il court, à une allure vive, sur le flanc
de la caravane, pour égaliser les rangs et rétablir les
intervalles. Et brusquement, avec une sûreté admirable, il arrête
son cheval d'un coup de frein. La tête retournée vers la queue du
cortège, le burnous rejeté sur les épaules, le corps à demi
dressé sur ses étriers, il reste ainsi, une seconde, dans une
superbe pose de commandement.
« Le piétinement interrompu reprend aussitôt, avec le même bruit
d'averse; et toute la pompe des migrations barbares passe devant mes
yeux... (1) »
(1) Louis BERTRAND. - Le Jardin de la mort,
Paris, p. 121 et Albin Michel, in-16, 122.
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VI . - Les Plaisirs : la Musique
Une vie aussi simple laissé des loisirs, et c'est une grande supériorité
sur la nôtre. La musique est un des plaisirs que les indigènes de l'Afrique
du Nord placent au-dessus des autres. Citadins, nomades, montagnards
berbères, tous aiment également la musique et les chants. A tout seigneur,
tout honneur. Nous parlerons d'abord de la musique guerrière, de la nouba,
sur laquelle Léon Roches, interprète en chef de l'Armée d'Afrique,
recueillit au camp d'Abd El Kader l'a curieuse légende ci-après :
« A propos de la nouba, on m'a raconté une histoire typique: un Arabe
plaisant demandait à ses compatriotes sils comprenaient le langage de la
nouba: « Elle ne dit « rien, elle chante, » lui répondirent-ils. Ah!
ignorants ou simples que vous êtes, reprit-il, la nouba parle au nom du
sultan et en votre propre nom, écoutez: les grosses caisses, c'est la voix du
sultan qui crie :
« Draham, draham, draham.
« (Draham veut dire argent, et en prononçant le mot fortement et avec
emphase, on imite le son de la grosse caisse.)
« Le hautbois, c'est la voix des Arabes auxquels on demande de l'argent et
qui disent en pleurant :
« M'ninn, m'ninn, m'ninn.
« (M'ninn veut dire d'où; en prononçant vivement m'ninn plusieurs fois de
suite avec une voix de fausset, on imite les sons aigus du hautbois.)
« Et les timbales, c'est la voix des cavaliers du sultan qui viennent lever
l'impôt et qui répondent :
« Debbor, debbor, debbor.
« Trouves-en, trouves-en. (En prononçant fortement les deux b, on imite le
son des timbales.)(1) »
Plus modeste, moins redoutable, mais beaucoup plus riche de poésie nous
apparaît la chanson de la flûte arabe, dont une mélodie de Bizet a bien su
rendre le charme :
« Tout à coup j'entends monter le chant de la flûte arabe.
(1) Léon ROCHES. - Dix ans à travers l'Islam. 1834-1844. Paris,
Perrin et Cie 1904, in-18, p- 82-83.
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