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   DEHODENCQ. - Musiciens arabes       

« ... Oh! qui dira la douceur et la mélancolie de ce chant ? Il me suffit de l'évoquer, un instant, pour qu'aussitôt se déroulent sous mes yeux les mornes étendues des steppes africaines, incendiées de soleil, écrasantes de tristesse dans leur immuable magnificence! Ce petit bruit, faiblement modulé par la flûte de roseau, ce souffle ténu qui domine à peine, pendant le jour, la vibration stridente des sauterelles, qui se confond, la nuit, avec les murmures du vent, il résonne en moi comme la plainte étouffée de ma propre détresse, lorsque je suis perdu dans ces immensités et que j'appréhende la sourde menace des éléments, l'indifférence inexorable des formés pétrifiées et sans âme qui m'entourent. Il se prolonge douloureusement, comme le souvenir à demi effacé des joies trop brèves de l'amour cueillies avec une hâte fiévreuse aux étapes de la route, - comme l'écho toujours diminué de mes soudaines émotions devant la beauté des lieux, - ces émotions si rapides, achetées souvent au prix d'un long ennui et de véritables souffrances, jouissances délicieuses déjà évanouies au tournant du chemin, voluptés qui vous ont pris tout le cœur et que vous ne retrouverez jamais plus! Mais elle suscite encore un monde de visions, cette mélodie bucolique qui bercé les siestes et les rêves du nomade: c'est le Sud tout entier, non pas seulement avec ses montagnes et ses plaines, ses déserts semés d'ossements, ses lacs desséchés et couverts de sel, mais avec les habitants farouches et bariolés de la tente, les cavaliers aux draperies flottantes et les filles d'amour qui se tiennent, toutes resplendissantes sous leurs bracelets et leurs voiles, devant les murs blancs des ksars... Et c'est pourquoi je ne puis entendre le chant de la flûte arabe sans que mon âme en soit bouleversée et que des larmes nostalgiques me montent aux paupières... (1) »
 
Nous ne saurions citer tous les instruments de musique : la rhaïta, la derbouka, etc. Mais une mention spéciale doit être réservée au violon targui, l'amzad, dont jouent les femmes pendant ces « cours d'amour » que tiennent les Touareg le soir, dans l'ombre des tentes ou sous un grand éthel. J'ai entendu à Tamanrasset la chanson très douce que tire de ce violon un archet en arc de cercle semblable à celui dont se servaient nos ménestrels au moyen âge et que l'on voit encore aux mains des anges dans les tableaux de

(1) Louis BERTRAND. - Le Jardin de la mort. Paris, Albin Michel, in-16, p. 25, 26 et 27.

 
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