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   Van Eyck. La musique targuie a plus de mesure que la musique arabe, elle est moins fluide, plus soumise à la loi du nombre, plus proche de la nôtre. Voici des vers composés à ce sujet par une poétesse targuie :
 
« J'adore humblement les actes du Très-Haut « Qui a donné au violon mieux qu'une âme
« Au point que dès qu'il joue les hommes se taisent
« Et que leurs mains se posent au litham pour le rabattre afin de cacher leur émotion.
« Les soucis de l'amour étaient sur le point de me mettre au tombeau,
« Mais grâce au violon, ô fils d'Aïcloum !
« Dieu m'a rendu la vie. (1) »

 

VII. - Les Plaisirs (suite) - la Danse

On peut dire qu'à certains soirs de lune toute l'Afrique danse.
 
En Afrique Noire les danses ont le plus souvent un sens rituel, un caractère sacré. En Afrique du Nord elles présentent une sorte de paraphrase, d'illustrations en marge de l'amour; elles miment l'approche, la rencontre des amants... et même beaucoup d'autres choses. - Il est assez rare que jeunes hommes et jeunes femmes dansent ensemble. - Généralement les femmes dansent seules, plus particulièrement les célèbres Ouled Naïls, qui viennent des montagnes de ce nom et de la région de Boghar et de Boghari. Au Maroc, les danseurs Chleuhs de Marrakech sont des éphèbes vêtus de mousselines blanches et assez semblables à des enfants de chœur. Ils ne dansent jamais, même s'ils sont conviés aux mêmes fêtes, avec les danseuses professionnelles, les « chirâh ».
 
Chez les Berbères de l'Atlas, la danse est surtout un accompagnement rythmé du chant. J'ai eu l'occasion de voir au col de Tichka, à 2.400 mètres d'altitude, une soixantaine de danseuses, alignées sur un seul rang, qui

(1) HAARDT et AUDOUIN DUBREUIL. - La première traversée du Sahara en Automobile- Paris, Plon, in-18, p. 275-276.

      

parfois se refermait en cercle. Au son d'un orchestre de tambourins, elles se balançaient d'avant en arrière en frappant les mains l'une contre l'autre, et en chantant à l'unisson en deux chœurs alternés, voix hautes et voix basses. Cadences un peu indigentes, mais non dépourvues de grâce. Paroles un peu enfantines, m'a-t-on dit: «la nuit est longue», « le jour est clair » et autres vérités premières. Mais le charme de cette séance, son indéniable poésie consistaient précisément dans le fait que la musique et la danse, comme au temps des aèdes homériques, fussent mises au service d'idées très simples. Parfois un des aèdes aux tambourins criait comme dans l'Iliade, comme dans la Chanson de Roland, une sorte d'interjection qui sériait les couplets. Et puis, sur les montagnes toutes proches, la neige étin­celait sous le soleil, dans un ciel bleu, limpide et froid...
Voici une danse que je n'ai pas eu l'occasion de voir, où un jeune homme sert de partenaire à une jeune femme; c'est la danse du sabre :
« Une jeune fille arabe voilée, tenant dans sa main un mouchoir, sortit de l'enceinte des femmes et vint danser au milieu de l'espace qui se trouve entre cette enceinte et le lieu occupé par les hommes. Elle semblait vouloir maintenir sur sa figure le voile léger destiné à la cacher, mais elle l'écartait réellement et laissait apercevoir de grands yeux noirs, de petites dents dont la blancheur était rehaussée par le teint brun de sa peau, et de longs cheveux noirs qui pendaient en tresse sur ses épaules.
 
« Un jeune Arabe qui, dans cette danse, jouait le rôle d'amant, arriva comme un furieux pour punir sa fiancée de se montrer aux yeux des hommes; vêtu d'une tunique serrée étroitement à la taille par une ceinture de cuir, le bras, le cou et les jambes nus, ses belles formes se dessinaient admirablement. Il était armé d'un sabre. A sa vue la jeune fille voulut fuir, mais en deux bonds, le sabre de son amant brilla menaçant sur sa tête. Elle se jeta à genoux.
 
« Le sabre tomba, mais elle s'était retirée avec agilité et son mouchoir seul fut tranché en deux parties égales. Elle fuit de nouveau et fut encore atteinte. L'amant frappa et les deux parties rejointes du mouchoir furent coupées en quatre.
 
« Enfin quand le mouchoir fut coupé en huit parties égales, elle parvint, à force de supplications et de moues séduisantes, à calmer la fureur de son amant. Elle lui

 
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