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   environs. Après cette prière, l'iman, -nommé dans ce cas khâtib (1) (prédicateur), fait un sermon.
« Pendant l'heure de la prière du D'hour, le vendredi, tout travail doit être interrompu, et dans les villes, toutes les boutiques et les lieux publics doivent être fermés.
« Pour la première fois j'ai fait le Ramadan (2). Ce carême des musulmans est bien plus rigoureux que celui des chrétiens, lorsqu'on l'observe en se conformant à l'esprit du Coran.
« On doit jeûner depuis l'heure où l'on peut distinguer un fil noir d'un fil blanc jusqu'au coucher du soleil. Le jeûne ne consiste pas seulement à se priver d'aliments, il est défendu de boire, de priser, de fumer; d'aspirer des odeurs et d'avoir commerce avec les femmes pendant cet intervalle.
« Au moment où le soleil se couche, les musulmans les moins fervents se livrent immédiatement à la satisfaction du besoin le plus impérieux. Les uns mangent, les autres fument, d'autres prisent. Le musulman pieux doit avaler une seule gorgée d'eau, pour rompre le jeûne, puis faire la prière du Moghreb. Il ne mange qu'après avoir achevé sa prière, qu'il doit faire autant que possible en commun.
 
« Comme partout, les gens riches trouvent moyen d'adoucir les règles les plus austères. Ainsi, les musulmans aisés font du jour la nuit et de la nuit le jour. Le carême qui doit être un temps de pénitence et de repentir est, pour une partie des musulmans, une époque de bonne chère et de réjouissances. La nuit se passe en festins; ils prolongent leur réunion jusqu'à ce qu'il ne reste plus que deux heures de nuit, alors on sert le Sohor (nom du dernier repas de nuit) et au moment où l'aurore répand ses premières clartés, ils se rincent la bouche, font leurs ablutions, leurs prières du matin, et vont se coucher pour ne se lever qu'après-midi. Les pauvres, au contraire, qu, doivent travailler pour vivre et qui n'ont pas de quoi acheter une nourriture substantielle, font le Ramadan dans toute sa rigueur. Ceux qui ont l'habitude de fumer ou de priser, souffrent plus de la privation du tabac que de celle de la nourriture; pour moi qui n'avais aucune de ces habitudes, je supportais le Ramadan sans la moindre difficulté. Il faut ajouter que je menais la vie des riches.

(1) De Khotoba, discours.
(2) De la racine arabe; il a brûlé, qui brûle (sous-entendu les entrailles). D'autres prétendent que Ramadan est le nom du premier homme qui a jeûné.

       « Comme l'année lunaire qui sert à compter l'ère musulmane a onze jours de moins que l'année solaire, il en résulte que, pendant une révolution de trente trois ans, tous les mois de l'année lunaire parcourent successivement les différentes saisons de l'année solaire. Le Ramadan arrive donc également à toutes les époques de l'année : en été, il est intolérable à cause de la soif; aussi est-il permis aux moissonneurs et aux voyageurs de ne pas observer le Ramadan, mais alors ils doivent, dans le cours de l'année, jeûner le nombre de jours pendant lesquels ils n'ont pas satisfait au jeûne du Ramadan. C'est une dette sacrée. Le mois de Ramadan est consacré à la préparation des fidèles pour , les fêtes de Pâques nommées (1) Aïl et Sghaïr, la petite fête, et (2) Aïl et Kebir, la grande fête. On doit oublier toutes les injures qu'on a reçues et se réconcilier avec tous ses ennemis; toute guerre entre tribus cesse pendant ce mois sacré. (3) »
 
Cette religion nous paraît s'être incarnée dans un homme, Abd el Kader. Voici le portrait qu'a tracé de lui Léon Roches qui vécut longtemps près de lui et fut son ami jusqu'au jour où cette amitié l'eût contraint de porter les armes contre la France :
 
« Son teint blanc a une pâleur mate; son front est large et élevé. Des sourcils noirs, fins et bien arqués surmontent les grands yeux bleus qui m'ont fasciné. Son nez est fin et légèrement aquilin, ses lèvres minces sans être pincées; sa barbe noire et soyeuse encadre légèrement l'ovale de sa figure expressive. Un petit cuchem (4) entre les deux sourcils fait ressortir la pureté du front. Sa main, maigre et petite, est remarquablement blanche, des veines bleues la sillonnent; ses doigts longs et effilés sont terminés par des ongles roses parfaitement taillés; son pied, sur lequel il appuie presque toujours une de ses mains, ne leur cède ni en blancheur ni en distinction. .
« Sa taille n'excède pas cinq pieds et quelques lignes, mais son système musculaire indique une grande vigueur. Quelques tours d'une petite corde en poils de chameau fixent autour de sa tête un haïk de laine fine et blanche; une chemisé en coton et par-dessus une chemise de laine

(1) Beyram en turc.
(2) Courbon Beyram.
(3) Léon ROCHES. - Dix ans d travers l'Islam. 1834-1844. Paris, Perrin et Cie, 1904, in-18, p. 45 à 44.
(4) Tatouaqe.

 
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