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   de même couleur, le haïk, qui après avoir fait le tour de la tête enveloppe le corps, et un burnous blanc recouvert d'un burnous brun, voilà tout son costume. Il tient toujours un petit chapelet noir dans sa main droite. Il l'égrène avec rapidité et lorsqu'il écoute sa bouche prononce encore les paroles consacrées à ce genre de prière.
« Si un artiste voulait peindre un de ces moines inspirés du moyen âge que leur ferveur entraînait sous l'étendard de la croix, il ne pourrait, il me semble, choisir un plus beau modèle qu'Abd el Kader.
« Un mélange d'énergie guerrière et d'ascétisme répand sur sa physionomie un charme indéfinissable.
« Sa physionomie est on ne peut plus mobile, et malgré l'empire qu'il exerce sur lui-même, elle reflète les sensations qui agitent son esprit ou son cœur.
« Quand il prie, c'est un ascète.
« Quand il commande, c'est un souverain. Quand il parle guerre, ses traits s'illuminent; c'est un soldat.
 
« La conversation tombe-t-elle sur les infidèles que sa religion lui ordonne de haïr ? C'est un de nos féroces capitaines du temps des croisades ou des guerres de religion du XVIème siècle.
« Quand il cause avec ses amis, en dehors des questions d'État ou de religion, sa gaîté est franche et communicative. Il a même un penchant à la moquerie.
« Il ne parle jamais de son père Sidi Mahhi ed Din sans que ses beaux yeux se mouillent de larmes. Il adore sa mère, pour laquelle il professe le plus profond respect.
« Contrairement aux usages des Arabes, il n'a qu'une femme (sa cousine germaine, sœur des Ouled Sidi Bou Taleb), dont il a une fille âgée de quatre ans.
 
« Il a quatre frères, dont l'aîné Sidi Mohammed Saïd, a succédé à Sidi Mahhi ed Din, comme chef religieux de la zaouia de Guiatn'a des Hachem-Gheris, près Mascara, berceau de famille.
« La fortune personnelle d'Abd el Kader se compose de l'espace de terre que peuvent labourer dans une saison deux paires de bœufs. Il a un troupeau de moutons dont la chair sert aux hôtes qui viennent demander l'hospitalité à sa tente et dont la laine suffit pour tisser ses vêtements et ceux de sa famille, burnous, haïk, aâbêia. II possède en outre quelques vaches qui lui fournissent le lait et le beurre nécessaires à ses hôtes et sa consommation; quelques chèvres et quelques chameaux.
       Sa mère, qui vit avec lui, sa femme et les femmes de ses serviteurs intimes qui composent sa maison particulière, tissent elles-mêmes ses vêtements.
« Il se nourrit. donc, même quand il est en tournée ou en campagne, de ses produits personnels.
« Il s'intitule inspecteur de la chambre du trésor. Il en est le gardien le plus économe et le plus vigilant. Il n'y puise jamais pour ses besoins personnels, excepté pour l'achat de ses chevaux et de ses armes, suivant les strictes prescriptions du Prophète.
Il est inutile de dire qu'Abd el Kader fait ses prières aux heures indiquées par le Coran. A propos de la prière, je l'ai entendu émettre l'aphorisme suivant :
 
« Le chrétien est très inférieur à un musulman. Le juif est pire qu'un chrétien.
« L'idolâtre est pire qu'un juif. Le porc est pire qu'un idolâtre.
« Eh bien! l'homme qui ne prie pas, à quelque religion qu'il appartienne, est pire qu'un porc ».
Il s'exprimait ainsi à propos des Arabes qui, pour la plupart, négligent de faire les prières prescrites par le Coran. « Quand le temps le permet, Abd el Kader prie hors de sa tente sur un emplacement nettoyé à cet effet - et ceux qui veulent participer à la prière en commun, qui est plus agréable à Dieu, viennent se placer derrière lui.
« Ces hommes au costume ample et majestueux, rangés sur plusieurs lignes, répétant par intervalles d'une voix rave les répons : Dieu est grand ? - Il n'y a de Dieu que Dieu ! Mohammed est prophète de Dieu! se prosternant tous ensemble, touchant la terre de leurs fronts et se relevant en élevant les bras vers le ciel, tandis que l'émir récite des versets du Coran: tout cet ensemble offre un spectacle saisissant et solennel.
 
« Là ne se bornent point les exercices religieux d'Abd el Kader. Il se livre à des méditations entre chaque prière, égrène constamment son chapelet et fait chaque jour, dans sa tente ou à la mosquée quand il se trouve (par hasard) dans une ville, une conférence sur l'unité de Dieu. Il passe pour être un des théologiens les plus érudits de l'époque.
« Il jeûne au moins une fois par semaine, et quel jeûne! Depuis deux heures avant l'aurore jusqu'au coucher du soleil, il ne mange, ni ne boit, ni même ne respire aucun parfum. Je ne sais si j'ai dit qu'il proscrit l'usage du tabac à fumer et tolère à peine le tabac à priser.
 
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