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   lorsqu'elle faisait partie d'un empire extérieur à elle, dont les marchés lui étaient ouverts.
On a souvent rappelé la proximité matérielle d'Alger et de Marseille. Cette proximité est le moindre des liens qui unissent les deux pays. L'hypothèse de l'indépendance algérienne est inconcevable.

Perspective d'Avenir

Un centenaire est une coupure artificielle dans une évolution. Mais celui-ci coïncide, à peu de chose près, avec un événement énorme, la fin de la grande guerre c'est-à-dire peut-être avec un grand tournant de l'histoire de France.
La France vient de réaliser son rêve séculaire. Toutes les monarchies de l'Europe ont croulé : la démocratie est victorieuse partout. La France dé 89 est un peu dans la situation d'un parti politique qui a réalisé son programme.
En conséquence il semble que les préoccupations colo­niales tiennent une place croissante dans l'opinion publique. Notre empire africain était, naguère encore, coupé en deux par le Sahara. Il ne l'est plus depuis que le Sahara se traverse en quatre jours dé diligence automobile.
Si nous considérons les choses sous cet angle, l'Algérie répond à la question angoissée que nous voyons si souvent posée dans la presse : « Ah, si nous avions des colons! » Vous moquez-vous? Vous avez en Afrique du Nord 1.100.000 colons enracinés, entraînés, aventureux, et qui commencent à se sentir à l'étroit. A la fin du XVIIIème siècle l'Amérique du Nord avait en Tout et pour Tout 2.000.000 de colons Anglais, pas davantage.
On n'envisage presque jamais le phénomène colonial dans son ensemble; en dehors de ses modalités particu­lières dans le temps et dans l'espace. On ne généralise pas assez le problème. II est évident que depuis trois ou quatre siècles, depuis Vasco de Gama et Christophe Colomb, nous sommes entrés dans une crise de colonisation aiguë, progressivement phagédénique. Au XVIIème et au XVIIIème siècle, 1 Europe a colonisé l'Amérique tout entière de la Terre de Feu à la baie d'Hudson. Au XIXème siècle, la colonisation ou la civilisation Européenne ont pénétré toute l'Afrique du Nord au Sud. Au XXème siècle, la question qui se pose sous nos yeux est de savoir si la vieille Asie sera européanisée ou si elle s'européanisera elle-même. Il y a là une courbe d'une ampleur, d'une continuité impressionnantes.

      

Nous n'avons encore que des histoires nationales, à base scolaire, ad usum Delphini, à l'usage du petit citoyen. Nous ne pouvons pas avoir autre chose : la vie est trop dure; il y a là une question de vie ou de mort, une ques­tion pragmatique
Quand le recul du temps permettra la création d'une his­toire universelle, planétaire, il est probable que le phéno­mène colonial apparaîtra dans les temps modernes le phénomène central autour duquel tout le reste se groupe.

C'est à peu près ainsi que dans l'antiquité, dans les siècles qui ont précédé l'ère chrétienne, toutes les histoires nationales convergent vers le grand phénomène colonial, l Empire Romain, c'est-à-dire la colonisation par l'homme gréco-romain, ou par sa civilisation, de tout le monde alors connu.

Il semble évident en effet que dans le passé humain, tel que nous le connaissons, la période moderne a un proto­type, et un seul, la période gréco-romaine.

Il semblerait se dégager une sorte de loi. Toutes les fois que, sur un point déterminé de la planète, il se crée une accumulation énorme de forces, d'intelligences, de richesses, de ressources, alors cette accumulation se déverse tout autour; c'est un écoulement irrésistible; il est rendu inévitable par le déséquilibre, et il continue jusqu'à ce que l'équilibre soit rétabli. Cette loi humaine du phénomène colonial aurait de l'analogie avec la loi physique des vases communicants.

Sur notre petite planète, l'humanité, à tout prendre, tend nécessairement vers une certaine unité. Cette unité ne peut être que le résultat d'un brassage. Le phénomène colonial serait une modalité de ce brassage. Une autre modalité serait peut-être les invasions de barbares, mais ceci est une autre paire de manches.

Si on considère le phénomène colonial sous cet angle, et je ne vois pas comment on pourrait contester la légiti­mité du point de vue, a'ors nos discussions momentanées, nos répugnances esthétiques, nos indignations politiques et sociales, et d'ailleurs aussi inversement nos convoitises, apparaissent réduites à une échelle extraordinairement petite, et on a peut-être le droit d'en faire abstraction.

Dans l'espèce, dans ,l'ensemble de l'Afrique française, notre devoir évident est d'éveiller à la vie moderne, comme nous l'avons fait en Algérie, et avec son aide, notre moitié de continent.

 
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