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ni d'anisette, ni de cognac; le patron servait, sans hésitation, un
cachet de quinine.
Malgré la quinine et l'hôpital, la mortalité, était énorme. Le
seul mois d'octobre 1840 emporte 48 fiévreux sur 400 habitants; à
peu près un quart en un mois.
L'administration a renoncé plusieurs fois à tenir le coup. A
diverses reprises elle a voulu abandonner l'expérience de Boufarik.
A la fin de 1839 le projet est si avancé, que l'ordre est donné
d'évaluer la valeur des constructions pour indemniser les colons
évacués. C'est Duvivier qui commande.
En février 1842, la question revient sur lé tapis. Trumelet nous a
conservé la protestation collective des colons. Ce qui semble avoir
exaspéré l'administration, c'est que les fonctionnaires qu'elle
envoyait disparaissaient les uns après les autres. Un juge de paix
vient d'être emporté par la fièvre après deux mois de séjour.
Dans la protestation furieuse des colons il y a un passage
admirable. Ce juge de paix est un imbécile : c'est de sa faute s'il
est mort; il n'a jamais voulu prendre les précautions qu'on lui
indiquait : « nous sommes persuadés que tout autre que lui se fût
tenu sur son siège pendant plus de vingt ans ». Cette mauvaise foi
passionnée, injurieuse, n'est-elle pas superbe?
Évidemment ce sont les colons qui se sont cramponnés à leur
tâche meurtrière. On n'a pu les en arracher.
Naturellement on s'est préoccupé dès le premier moment d'assainir
Boufarik et à partir de 1842 le génie militaire d'abord, les Ponts
et Chaussées ensuite, travaillent systématiquement.
Assainir, cela signifiait drainer le marais, transformer les eaux
stagnantes en eaux courantes. Besogne terrible.
Il faut songer aussi au progrès de l'installation. Les colons
n'habiteront plus des gourbis en branchage. Ils se construisent des
maisons en pierre, et ils couchent dans des lits.
En 1843 déjà, au dire de Toussenel, « le chiffre des décès
n'atteignit que 42, c'est-à-dire 1/17ème. »
En 1843, pourtant, il était un peu tôt pour chanter victoire. 11
faudra bien plus de temps que çà : il faudra une vingtaine
d'années, pour arriver à l'époque que chante Trumelet, où l'on
voit à Boufarik « des cultivateurs à muscles d'acier et à
visages dorés de santé par le hâlé... une fourmilière de beaux
enfants bâtis à chaux et à sable... |
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de nombreux centenaires... le temps où la profession de médecin sera une
sinécure, et où l'excellent Dr George se verra dans l'obligation de
consommer lui-même sa quinine, s'il tient absolument à écouler ce
fébrifuge ».
Cette bataille contre le climat, qui se livrait à Boufarik, n'avait pas un
intérêt simplement local. Boufarik battait, il est vrai, en Algérie, tous
les records d'insalubrité, mais il n'en avait pas le monopole. Jusque sous le
second Empire des gens très sérieux ont établi scientifiquement,
statistiques en mains, qu'une race « créole » n'avait aucun avenir en
Algérie. Vous entendez bien que ce mot de créole, complètement mort
aujourd'hui dans la littérature algérienne, comportait une assimilation
entre le climat méditerranéen de l'Algérie, et celui de la zone tropicale,
où toute colonisation blanche est impossible.
Vers le milieu du XIXème siècle il y a eu positivement, à Paris,
un M. Desjobert qui fut un homme connu, un parlementaire notoire. Comme
d'autres parlementaires de toutes les assemblées françaises, y compris les
actuelles, Desjobert fut anticolonial, ce qui signifiait en ce temps-là
anti-algérien.
Entr'autres discours de ce Desjobert, il y en a un du 19 décembre 1850, à
l'assemblée nationale législative, qui est commode parce qu'il résume lés
charges accumulées contre les créoles par les témoins oculaires, les
médecins, les statisticiens.
« D'après le général Duvivier, l'expression qu'une masse d'hommes envoyée
en Afrique s'y est acclimatée, est inexacte. Il n'y a pas eu acclimatement,
il y a eu triage fait par la mort... Le Dr Worms dit : La vitalité est
affaiblie; un besoin irrésistible de repos domine tous les autres, le corps
et l'âme ont dégénéré.
« Chez les créoles la mortalité annuelle des enfants d'un jour à 15 ans
est de 121 sur 1.000. En France elle est de 27.
« De 1831 à 1848, il y eut dans l'armée d'Afrique 74 décès sur 1.000
hommes; il y en a 19 en France.
« En 1848, il est mort par maladie 4.406 soldats, et par le feu de l'ennemi,
13. »
Lentement, d'année en année, par progrès successifs, à mesure que le
marais s'assèche, les statistiques ont ruiné cette argumentation
scientifique et rayé le mot de créole du vocabulaire. Voici la progression
à Boufarik en particulier :
En 1843, la mortalité qui a été jusque là de 1/5ème par an
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