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Elle continue: en matière de chemins de fer, comme en toutes les
autres, la création ne s'arrête pas, rien n'est fixé.
Naturellement le réseau des routes avait précédé celui des
chemins de fer, depuis la guerre l'énorme développement des
services automobiles a décuplé la vie de ce réseau, et compromis
l'équilibre budgétaire des chemins de fer.
Mais ceci n'est pas une question proprement algérienne. C'est une
question mondiale, et en particulier française.
Création des Ports et des Capitales
Une autre partie essentielle de l'outillage, ce sont les ports.
En Algérie, l'étude de leur création ne peut pas être disjointe
de celle des capitales.
On s'en aperçoit à une comparaison sommaire des trois chefs-lieux
des trois départements algériens.
Alger est une ville de 215.000 habitants, dont 160,000 Européens et
55.000 Indigènes.
Oran a 150.000 habitants, dont 125.000 Européens et 25.000
Indigènes.
Ce sont des villes européennes.
On a le droit d'appeler Alger et Oran des villes monstres. Près de
300.000 Européens agglomérés dans ces deux villes seules, sur un
total inférieur à 900.000 colons. Un tiers, c'est énorme.
L'Algérie est au régime des villes monstres. Ainsi s'extériorise
la constitution sociale du pays : une population rurale indigène
encadrée par une bourgeoisie européenne.
Notez que la capitale du troisième département algérien,
Constantine, reste loin en arrière. 93.000 habitants, dont la
moitié Indigènes. La cause de ce retard est très évidente.
Constantine est à 80 kilomètres de la mer. Ses ports vivent à
part, Philippeville, et surtout Bône, la grande rivale de
Constantine. Les villes monstres ont poussé au bord de la mer.
En Oranie, avant 1830, la vieille capitale était
incontestablement Tlemcen, qu'Oran a facilement et énormément
surclassé parce que Tlemcen n'était pas un port.
Je suppose que c'est normal. Dans les colonies et les anciennes
colonies anglaises, les capitales sont des ports : New-York, Le Cap,
Sydney et Melbourne. Ainsi reste marqué l'ombilic par lequel
l'enfant se rattachait à la mère.
Aucune de ces capitales n'est une création de toutes
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pièces, non pas même Oran, qui était bien peu de chose en 1830, mais qui
conserve dans ses vieilles fortifications, blasonnées aux armes d'Espagne, le
souvenir d'un vieux passé.
Il est bien possible que nous nous soyons installés trop docilement sur les
emplacements urbains antérieurs.
Le port d'Oran eût été bien mieux placé à Mers-el-Kébir. La
bi-millénaire Constantine, juchée sur un rocher, étouffe aujourd'hui entre
sa falaise et son canyon.
Les Anglais, dans leurs colonies, avec leur mépris hautain des « natives »,
se dégagent bien plus radicalement que nous des suggestions du passé,
lorsqu'ils jugent expédient de le faire.
Au Maroc, le maréchal Lyautey s'est bien gardé, dans sa sagesse, d'installer
sa capitale nouvelle à Fez ou à Marrakech. Il est certain que sous les Turcs
Alger était la capitale et qu'elle l'est restée.
Après tout, sur cette côte algérienne, uniformément très mauvaise, il n'y
avait pas un seul port naturel au profit duquel nous aurions pu être tentés
d'abandonner Alger.
Nous y sommes donc restés, et il est curieux de voir comment nous l'avons
transformé.
Dans la ville actuelle, en 1930, sur le terrain, et mieux encore peut-être
sur une photographie d'avion, l'Alger turc qui est toujours là, et l'Alger
français, se distinguent immédiatement.
L'Alger turc, c'est ce petit tas indistinct et saillant de petites maisons
blanches agglomérées en carapace.
Indistinct : parce que, à l'échelle de la photographie, on ne peut pas
distinguer le lacis enchevêtré des étroites ruelles, venelles et impasses.
Saillant : parce que tout ça monte à l'assaut d'un éperon montagneux à
pentes très raides; dans les venelles en escaliers, les êtres humains ne
circulent qu'à pied, et les fardeaux à dos de bourriquot. Au sommet de
l'éperon encroûté de minuscules cubes de pierres, se dresse hautement une
grande bâtisse quadrangulaire, c'est l'ancienne Kasbah des deys, le
château-fort. L'usage a étendu son nom à l'ensemble de l'Alger turc qui
était, en effet, tout entier une forteresse.
Les limites de l'Alger turc restent admirablement nettes ce sont tout
simplement les anciens fossés de l'Alger turc, à peine camouflés. Contre
ces fossés-là est venu se briser l'armée de Charles-Quint.
Tout l'ensemble est pratiquement intact.
Tout autour, dans les deux sens, s'étend l'Alger français à
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