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   une rectification considérable sera apportée là à la grande voie de rocade, axe du Tell.

Ce sont là, à tout prendre, des erreurs vénielles, parce qu'inévitables. Aux prises avec une tâche pareille, il faut bien se résigner à avoir essuyé des plâtres.

Voici qui est plus grave.

Un grand nombre de chemins de fer algériens sont de petits chemins de fer à voie étroite, en particulier toutes les voies ferrées de pénétration vers le Sud, sauf une seule (Constantine-Biskra).

L'insuffisance de ces chemins de fer apparaît aujour­d'hui éclatante.

Si l'Algérie n'a jamais pu exploiter les phosphates du Djebel Onk, il est de notoriété publique que la responsabilité en incombe, pour une large part, à l'insuffisance du vieux petit chemin de fer Souk-Ahras-Tebessa.

En un cas au moins, l'insuffisance est officiellement avouée.
Le plus long des chemins de fer algériens à voie étroite est celui qui unit Oran à Colomb-Béchar : ce n'est rien moins que la voie de pénétration d'Oran au Sahara.

Autour du terminus saharien s'est révélée l'existence d'une grande région minéralisée, qu'il est impossible de mettre en valeur avec le chemin de fer actuel. En con­séquence, on vient officiellement de concéder la cons­truction d'une ligne nouvelle doublant l'ancienne. Ce sera un chemin de fer normal cette fois, à voie large, allant de Bau-Arfa à Nemours.

A qui incombe la responsabilité de ce qu'il est bien permis d'appeler une énorme malfaçon ? A personne et à tout le monde, à nous tous, à l'esprit public. C'est par­faitement clair et archiconnu.

Voici comment un ingénieur en chef, dans un document officiel de 1913, analyse les conditions d'établissement d'un chemin de fer à voie étroite.

« On y avait toléré, dit-il, des courbes d'un rayon très court (100 mètres), des successions rapides d'inflexions en sens contraire (à 40 mètres d'intervalle) » ; ces détails techniques illustrent l'expression, courante en Algérie, de « tortillard » ; on l'applique à tous ces petits chemins de fer dédaigneux de la ligne droite, plus court chemin d'un point à un autre. L'État garantissait à la Compagnie l'intérêt du capital engagé, bien entendu; et dans le calcul de
      

ces intérêts on faisait entrer le prorata de la somme totale des kilomètres. La Compagnie a donc construit une ligne aussi longue que possible; dans les cas où elle aurait pu, au moyen d'un travail d'art, tunnel ou pont, supprimer un long détour, invariablement elle a choisi le détour; bref, elle a « tortillé » de son mieux.

Une phrase de l'ingénieur en chef est à retenir: elle est précise et modérée, dans le style d'un rapport officiel auquel elle est empruntée: « les caractéristiques rappelées « ci-dessus correspondent à une construction économique, « elles ne se justifient, a priori, que pour une ligne à très « faible trafic, dont la raison d'être est plutôt politique et « militaire que commerciale ». C'est parfaitement clair, et ça peut être généralisé.

Tout le réseau algérien est plus ou moins dans le même cas, les gens qui l'ont projeté ne croyaient pas à son avenir. Personne n'a jamais eu con­fiance dans l'avenir de l'Algérie. Je suppose que cela est évident, et que cela n'est pas contesté.

La France, d'une façon générale, depuis un demi-siècle, ne peut pas être soupçonnée d'avoir vu « kolossal », même dans ses pro­pres affaires. Et il est bien sûr qu'elle a toujours eu de l'Algérie une opinion médiocre.

Le réseau de chemins de fer a été construit parce qu'on ne pouvait pas décidément faire autrement, avec un haussement d'épaules résigne, sous la réserve mentale : « tâchons que cette bêtise inévitable ne nous coûte pas trop cher ». Et naturellement, c'est précisément cette disposition d'esprit-là qui a entraîné des dépenses immenses. Rien n'est coûteux comme de suivre en gémissant.

Ceci se laisserait résumer en une phrase qui ne s'appliquerait pas seulement, hélas! aux chemins de fer algériens. Au rebours des États-Unis, la France est un pays où l'espoir n'a pas de marché. Le Français n'ose pas escompter l'avenir. C'est une maladie nationale.

Qu'on ne se méprenne pas cependant sur l'intention et la portée de ces critiques. On a souligné les erreurs commises parce qu'elles font apparaître les difficultés de la tâche, et qu'elles évoquent par conséquent l'énormité de la besogne réalisée.

Par-dessus des obstacles beaucoup plus grands qu'en France, à travers des ignorances, des hésitations, des tâtonnements, des reprises ; avec une énergie confuse, parfois aveugle, mais obstinée et puissante, l'Algérie s'est tout de même construit son réseau, et elle continue à le construire.

 
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