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été guidés par un réseau antique de chemins. La vie économique,
que nous faisions naître, n'obéissait pas toujours aux prévisions
précises de nos tracés nouveaux. On allait un peu à l'aveuglette.
Lors même qu'il y aurait eu dans la distribution de la vie
indigène des indices précieux, nous n'avons pas toujours su les
interpréter. Nous n'avons pas d'ancêtres ici, nous ne sommes pas
mis en garde par nos traditions et nos instincts, nous ignorons des
choses énormes. jamais nous n'aurions pu sur notre propre sol nous
tromper aussi grossièrement que nous l'avons fait quelquefois.
Un excellent exemple est l'antinomie entre lé tracé dès crêtes
et celui des vallées.
Le sentier indigène suit les crêtes, sans doute parce que le
cavalier ou le piéton se soucie peu de perdre la coté, au rebours
de l'ingénieur qui étudie un tracé. Mais l'indigène,
obscurément, sans qu'il puisse nous en rendre un compte explicite,
a une autre raison plus sérieuse.
Les rivières d'Algérie ne sont pas honnêtes rivières de chez
nous. Ce sont des oueds; leurs lits, empanachés de beaux
lauriers-rose, mais vibrants de moustiques, sont fiévreux; dans
leurs vallées torrentielles s'étalent beaucoup plus de cailloux
que de terre végétale : ils n'ont pas d'eau en été, au moment
précis où il en faudrait, mais en hiver ils roulent des crues
terribles qui emportent tout.
L'oued algérien repousse la vie humaine autant que la rivière
française l'attire. Ce sont les crêtes qui groupent la vie
indigène, 'et c'est entre les groupes humains que lés
communications s'établissent.
Il était naturel que nos ingénieurs aient eu de la peine à
s'assimiler cette notion, en contradiction avec-leur atavisme et
leur entraînement.
C'étaient des techniciens âgés, formés en France. Le chemin
de fer P.-L.-M. suit le Rhône, puis la Saône, puis l'Yonne, puis
la Seine. Ces vieux messieurs, qui devaient ajouter une ramification
nouvelle au réseau algérien, avaient chacun, dans son cerveau
complexe et fixé depuis l'adolescence, une image de notre réseau
français, calqué sur le réseau de nos rivières. Ils n'avaient
rien de mieux à faire qu'à obéir à l'influence inconsciente de
leur éducation technique, qui était leur raison d'être Le tracé
qui suivait la vallée était a priori celui qu'on pouvait
s'attendre à leur voir choisir.
Ainsi est-il arrivé qu'ils se sont trompés. Voici un cas
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où ils l'avouent. Il s'agit du petit chemin de fer à voie étroite long
d'une centaine de kilomètres, qui réunit Tiaret à Relizane (la moitié
méridionale de la ligne Tiaret-Mostaganem).
Ce chemin de fer avait été construit en 1885, à la française, dans la
vallée même de l'oued Mina, gros affluent du Cheliff. Vingt ans après, en
1908, dans l'exposé des motifs d'un projet de loi, qui a été voté, les
pouvoirs publics déclarent « complètement déçues... les espérances »
qu'avait fait concevoir le tracé par la Mina : il est désormais entendu
qu'une erreur a été commise dans le choix du tracé.
A partir de 1908, on a donc décidé la construction d'une nouvelle ligne
entre Tiaret et Relizane, passant par Zemmora et Mendès, c'est-à-dire par
les crêtes; elle suit les anciens sentiers indigènes.
La construction de la ligne a été retardée par la guerre. En 1928, elle
vient d'être ouverte à la circulation de bout en bout.
Ceci est un cas intéressant parce qu'indéniable, officiellement admis;
l'erreur commise et sa rectification peuvent se lire sur la carte.
Une erreur analogue, mais de plus grande amplitude, n'est pas encore
ouvertement avouée, mais devra sans doute être corrigée. II ne s'agit plus
d'une petite ligne accessoire, mais de la grande voie de rocade qui suit la
mer de bout en bout, l'axe du Tell tout entier. Entre Alger et Sétif, les
constructeurs de ce chemin de fer ont naturellement choisi, comme
d'habitude, le tracé des vallées.
La voie s'insinue par les gorges de Palestro, colle à l'oued Isser et
franchit enfin les Portes de Fer, illustrées par le passage du duc
d'Orléans. Le souvenir de ce nom auguste et de cette expédition mémorable
était une incitation supplémentaire à choisir le tracé.
La colonisation n'a pas suivi. Entre les superbes vignobles de la Mitidja et
les belles terres à blé de Sétif, on ne voit guère autre chose que la
forêt, la brousse et le rocher. C'est une section pittoresque, improductive
et coûteuse.
Au temps des Turcs, et déjà des Romains, depuis deux millénaires, depuis
toujours avant notre venue, les communications entre la région de Sétif et
celle d'Alger ont toujours passé plus au sud, par le chemin des crêtes,
jalonné par Aumale et Médéa.
Il faudra y revenir, ce n'est déjà plus une simple hypothèse;
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