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   été utilisés qu'à regret contre des populations insensibles à tout ce qui ne les atteignait pas matériellement. Dès que ces populations manifestaient le désir de vivre en paix, les plus grands efforts étaient faits pour assurer leur sécurité et leur bien-être.

C'est en effet à la colonisation du pays que les grands chefs de l'armée d'Afrique n'ont cessé de penser, au milieu de leurs efforts pour amener la paix. Clauzel décla­rait dès le mois de mars 1832 à la tribune de la Chambre, que la Régence d'Alger devait, au bout de 10 ans, livrer au commerce une somme de plus de 200 millions de denrées coloniales, et au (bout de 20 ans, compter près de 10 millions d'habitants; il publia en 1833 un volume sur la question. Bugeaud écrivit nombre de rapports et de brochures relatives à la colonisation, dès 1838, et pendant son gouvernement de 1841 à 1847. Cavaignac, La Moricière et Bedeau réunirent eux aussi dans des volumes le résultat de leurs méditations à ce sujet. Randon accomplit une oeuvre dont il continua à suivre le développement même après sa rentrée en France.

La passion avec laquelle certains d'entre eux soutinrent leurs idées fut telle qu'elle contribua dans une large mesure à les séparer et même à développer entre eux de funestes jalousies. Bugeaud et La Moricière se trouvèrent aux prises; et, lorsque Bugeaud constata que le Parlement accordait ses préférences au système de La Morcicière, il abandonna le gouvernement général, plutôt que de renoncer à sa « colonisation militaire » et que d'assister à l'éclosion en Algérie d'une administration civile. La lutte entre Bugeaud et La Moricière fut d'autant plus vive qu'ils s'appuyaient sur des hommes politiques, des journaux et des partis, étant l'un et l'autre députés.

Presque tous les grands soldats de la conquête algérienne ont été députés et ont versé dans la politique. Lors des événements de la Révolution de 1848, se retrouvèrent à Paris, dans des rôles divers, Bugeaud, Bedeau, La Moricière, Cavaignac et Changarnier, sans parler d'autres Africains tels que Trézel, Charras, Duvivier et Le Flô. Lors de la préparation du coup d'État du 2 décembre 1851, la « nouvelle Afrique », où l'on comptait Saint-Arnaud, Magnan, Fleury, Canrobert, d'Allonville, Espinasse, travailla pour l'établissement de l'Empire; par contre, parmi les seize représentants du peuple arrêtés le 2 décembre, 
      

se trouvèrent Changarnier et Bedeau, qui prirent, ainsi que Charras et Le Flô, le chemin de l'exil.

Les grands soldats de l'armée d'Afrique ont été des idéalistes; ils ne tinrent compte de leurs intérêts personnels ni dans leurs campagnes algériennes ni dans leurs luttes politiques, et finirent rarement leur existence dans les honneurs. Depuis Bourmont qui emportait en exil, comme seul trésor, le cœur de son fils mort de sa blessure, et Clauzel qui revenait à la maison paternelle avec « sa vieille épée de combat, sans or ni diamants à la monture », jusqu'à Randon qui rentrait en France sans avoir tiré profit de son long gouvernement, ils n'ont pensé qu'à la grandeur de la France et à la prospérité de l'Algérie.

Qu'ils symbolisent dans l'histoire l'effort accompli par la France en Afrique du Nord et que leurs noms soient honorés par la postérité, c'est justice. Mais ils ne doivent pas faire oublier la masse anonyme des officiers, sous­officiers et soldats de l'armée d'Afrique.

Cette armée a accompli une tâche multiple en maniant non seulement le fusil, mais aussi la pioche, la pelle et la truelle. Elle-ne s'est pas bornée à pacifier le pays; elle a assaini les régions malsaines, défriché les terrains broussailleux, créé des routes, construit des hôpitaux et des écoles, fondé des cités devenues prospères. C'est elle aussi qui a posé les principes de l'administration des Indigènes, établi avec eux des relations commerciales, associé leur travail au sien.

Dans cette riche contrée qu'est devenue l'Algérie, les colons n'ont pas le temps, au cours de leurs journées remplies, d'apprendre l'histoire des champs qui leur donnent la fortune sous forme de blé, de raisin, d'olives et de fruits divers, et ignorent au prix de combien de vies humaines ces terres ont été arrachées à la stérilité; les voyageurs qui traversent ces pays fertiles en automobile, sur de bonnes routes, ne se doutent pas qu'elles ont à l'origine été cons­truites par des soldats qui ont reçu, pour récompense de leur travail, un supplément de pain et un quart de vin par jour, soit 0 fr. 15 au prix de l'époque.

Des milliers d'officiers et de soldats de l'armée d'Afrique sont morts sur les champs de bataille, dans les hôpitaux ou dans leurs foyers. Ceux qui ont vécu sont restés pauvres, après avoir déposé entre les mains de la France les richesses d'un pays magnifique, où Européens et Indigènes connaissent la prospérité et le bonheur.

 
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