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marche, mais je ne serais pas étonné que plusieurs fussent allés
jusqu'à Tombouctou. "
Bugeaud expliqua aussi à la Chambre que l'occupation restreinte, à
laquelle il avait cru jadis, était irréalisable; il démontra
cette vérité, si souvent méconnue depuis, qu'il est impossible de
faire la conquête partielle d'un pays, et que par " la force
des choses ", il faut soumettre les régions en bordure, parce
que même si leurs populations ne sont pas agressives, elles donnent
refuge à tous les ennemis des régions soumises- Enfin, il expliqua
les avantages du régime militaire tant que le pays n'était: pas
complètement pacifié et donna un exposé de la " colonisation
militaire " telle qu'il l'entendait, au moyen de soldats allant
se marier en France et revenant s'établir en - Algérie avec l'aide
de l'État et de l'armée.
L'ère de la colonisation et du commerce paraissait si bien ouverte
que le maréchal fut reçu à Paris par les négociants peu avant
son départ pour Alger, dans un grand banquet donné au Palais de la
Bourse; le duc de Nemours, le prince de Joinville, le duc d'Aumale
et le duc de Montpensier y assistaient, ainsi que le ministre du
Commerce et le gouverneur de la Banque.
A son retour à Alger, le 29 mars 1845, Bugeaud adressa aux "
citoyens et soldats de l'Algérie " une proclamation où il
leur parla de l'exportation des tissus français dans l'intérieur
de l'Afrique, qu'il comptait accroître en ouvrant de nouvelles
routes dans le Sud. Mais presque aussitôt commença une agitation
insurrectionnelle fomentée par un marabout surnommé Bou Maza
(l'homme à la chèvre), qui l'obligea. à lancer des colonnes
contre les tribus.
Cependant, c'est à la colonisation militaire que Bugeaud pensait
avant tout. Comme le Gouvernement ne paraissait pas favoriser ses
projets, il s'embarqua le 4 septembre pour la France, afin d'aller
les défendre. Les délégués de la population civile d'Alger se
réunirent ce jour-là au Palais du Gouvernement pour lui présenter
une adresse, et lui donnèrent ainsi l'occasion de leur exprimer
toute sa pensée. Il avait voulu avant tout, expliqua-t-il, leur
donner la sécurité, sans laquelle toute colonisation était
impossible; il avait ensuite fondé des postes autour desquels la
population civile était venue se grouper et il avait créé des
routes pour les desservir; il avait été obligé de s'absenter
beaucoup d'Alger pour diriger les colonnes ou les travaux, mais il
estimait " mieux servir ainsi les intérêts civils qu'en se
laissant absorber par les détails minutieux de l'administration
". |
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Il disait encore aux colons : " Je vous rends tout l'amour
que vous m'accordez, et bien que je ne possède pas une obole en
Algérie, je défendrai cette terre comme si j'y avais consacré
toute ma fortune et toutes mes affections. " Il concluait avec
sincérité qu'il conserverait leur adresse comme un titre de
noblesse à côté de brevet de duc d'Isly.
Au moment même où Bugeaud s'éloignait ainsi, laissant l'intérim
à La Moricière, l'agitation entretenue par les émissaires d'Abd el Kader
s'accentua, et Abd el Kader lui-même, passant la frontière du
Maroc, anéantit presque entièrement la petite colonne du
lieutenant-colonel de Montagnac près de Sidi-Brahim, puis fit
prisonnier le détachement du lieutenant Marin près d'Aïn-Temouchent.
L'insurrection gagna rapidement du terrain, et la situation devint
grave.
Bugeaud revint en hâte, déclarant que les échecs subis étaient dus
à des infractions aux principes qu'il avait posés et même aux
ordres qu'il avait donnés; il décida d'empêcher Abd el Kader de
rejoindre les divers insurgés de l'Est, afin -qu'il ne pût pas
prendre la direction d'une insurrection générale. Dix-huit
colonnes sillonnèrent le pays en tous sens, dans des conditions si
pénibles que deux de leurs chefs moururent d'épuisement; elles
par' vinrent du moins, en traquant Abd el Kader, à le rejeter
définitivement vers le Sud-Ouest.
Dans cette lutte décisive, Bugeaud et Abd el Kader avaient l'un et
l'autre déployé toute leur énergie. Le capitaine Trochu, aide de camp
du Maréchal, écrivait plus tard, en l'évoquant, ces lignes émues
sur son ancien chef :
" Quand il rentra dans Alger (le 18 mars 1846) avec une capote
militaire usée jusqu'à la corde, entouré d'un état-major dont
les habits étaient en lambeaux, marchant à la tête d'une colonne
de soldats bronzés, amaigris, à figures résolues et portant
fièrement leurs guenilles, l'enthousiasme de la population fut au
comble. Le vieux Maréchal en jouit pleinement. C'est qu'il venait
d'apercevoir, de très près, le cheveu auquel la Providence tient
suspendues les grandes renommées et les grandes carrières, à un
âge (soixante-deux ans) où, quand ce cheveu est rompu, il est
difficile de le renouer. "
Le Maréchal savait que le Gouvernement était disposé à instituer
en Algérie une administration civile et à réduire l'armée, et
s'opposait vivement à ces mesures. Il voulait mettre en pratique
son projet de colonisation militaire : au
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