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   Bedeau ; le museau, c'est Pélissier, et moi je suis entre les deux oreilles. Qui pourra arrêter notre force de pénétration ? Ah! mes amis, nous entrerons dans l'armée marocaine comme un couteau dans du beurre. Je n'ai qu'une crainte, c'est que, prévoyant une défaite, ils ne se dérobent pas à nos coups. "
Tout se passa, le 14 août, comme le maréchal l'avait dit. L'armée française s'avança en bon ordre, harcelée par des charges incessantes de cavaliers marocains que les fantassins des " défenses " recevaient par des décharges à bonne portée; elle était semblable, selon un cavalier indigène, à " un lion entouré par cent mille chacals ". Au moment opportun. Bugeaud lança en avant sa cavalerie, Yusuf en tête, la faisant suivre de près par l'infanterie. Le camp marocain, laissé dressé en raison de la certitude du succès, fut enlevé : l'artillerie, les tentes du fils du Sultan et celles des chefs, les provisions de guerre et de (bouche, restèrent entre les mains des Français.
Le colonel Morris poursuivit l'ennemi avec ses chasseurs si ardemment qu'il se trouva en difficulté, et dut être dégagé par l'intervention des bataillons de Bedeau. A midi, la poursuite cessa. Bugeaud put prendre possession de la tente du fils du Sultan, que Yusuf lui avait fait réserver, et auprès de laquelle il avait groupé 18 drapeaux, 11 pièces d'artillerie, le parasol de commandement du fils du Sultan et d'autres trophées. Le fils du Sultan s'était enfui jusqu'à Taza.
La victoire de l'Isly eut un immense retentissement, et est restée le grand titre de gloire de Bugeaud, quoiqu'il en ait bien d'autres. Elle amena le traité de Tanger, signé le 10 septembre 1844, mettant Abd el Kader hors la loi au Maroc comme en Algérie. Bugeaud reçut de Louis-Philippe, dès le 18 septembre, le titre de duc d'Isly; de la population algérienne, une épée d'honneur; d'amis connus et inconnus, d'innombrables lettres de félicitations. Il se rendit en France où il fut fêté partout.
li Pendant ce séjour, le grand souci de Bugeaud fut de montrer comment cette Algérie, qu'il considérait comme pacifiée, devait être une richesse nouvelle pour la France
" Il est essentiel, déclarait-il à un banquet offert par le commerce de Marseille, que vous connaissiez bien toute l'importance du marché dont Marseille est le principal entrepôt... Le champ qui s'ouvre devant vous rapporte déjà vingt millions au trésor ! Il y a là un avenir immense qu à mon âge il ne me sera peut-être pas donné de voir... "
      

A la Chambre des Députés, il prononça le 24 janvier 1845 un grand discours où il défendit ses principes d'administration et de colonisation, où il exposa l'œuvre de l'armée d'Afrique et justifia la nécessité du maintien de ses effectifs. Il montra que c'était au prix de marches épuisantes et de privations continuelles que cette armée avait pu obtenir les résultats acquis, remplaçant grâce à sa mobilité l'effectif double qu'aurait exigé l'occupation de postes plus nombreux.
Les razzia, qui lui étaient reprochées, n'étaient-elles pas, déclara-t-il, le seul moyen de terminer la guerre ? Il expliqua la différence entre la guerre européenne, où il est possible d'atteindre les capitales, d'intercepter les grandes routes terrestres ou fluviales, et la guerre africaine, où on ne peut atteindre que l'intérêt agricole, les moutons, les bœufs, la population nomade sans villes ni villages.
L'armée remplissait d'ailleurs, ajouta-t-il, bien d'autres rôles que celui d'instrument de guerre. Les soldats rentrant de colonne n'avaient que trois jours de repos pour réparer leurs effets, après quoi ils travaillaient aux routes, aux ponts, aux bâtiments, à tous les grands travaux d'utilité publique. " C'est l'armée, déclara-t-il, qui vous a fourni des bras nombreux et à bon marché, et sans elle vous n'exécuteriez pas ces travaux, car d'abord vous ne voteriez jamais les sommes nécessaires pour les faire faire par des bras civils. " Il calculait le prix d'un terrassier, d'un ouvrier d'art, d'un maçon, d'un menuisier, et montrait que les soldats travaillaient gratuitement pour les remplacer :
" L'armée a ouvert depuis deux ans cinq cents lieues de routes, elle a fait seize ponts, une multitude d'édifices militaires sur tous les points, elle a fondé plusieurs villages, elle a créé en un mot tous les grands travaux d'utilité, car il n'y a qu'elle qui en fait: Ce n'est pas tout! elle porte le secours de son budget au mouvement colonisateur et commercial. "
En ouvrant des routes, l'armée ne faisait pas seulement, d'après lui, oeuvre utile au point de vue stratégique, elle ouvrait des voies commerciales. Si elle était allée à Biskra et chez les Ouled-Naïl, c'était dans ce double but : " Nous avons marché, expliquait le Maréchal, l'épée dans une main et le mètre dans l'autre. Depuis ces expéditions, il y a eu un progrès énorme dans le commerce de l'Algérie. Le mouvement du commerce d'Alger s'est élevé en 1844 à 80 millions; je n'ai pas pu suivre nos tissus dans leur

 
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