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pouvoir de suffrage limité à la participation, plus haut définie,
dans la gestion des intérêts locaux, sans s'apercevoir qu'il y a
contradiction, au moins dans une certaine mesure, à faciliter le
passage de la condition de sujet à celle de citoyen, tout en
diminuant la distance qui les sépare.
Après dix ans d'expérience il faut bien se rendre à l'évidence.
Une éducation politique ne s'improvise pas; or, celle de
l'indigène était complètement à faire. L'essai qui en a été
tenté ne pourra, même dans son cadre restreint, donner de
résultats appréciables qu'au bout d'un certain nombre de lustres.
Quant aux droits politiques du citoyen, quelques dizaines
d'individus, seulement, en font, chaque année, la demande. Quelques
centaines, assez évolués pour en comprendre la valeur et en
souhaiter l'octroi, hésitent encore à le solliciter, mais le
subiraient sans déplaisir, s'il leur était imposé. La masse
persiste à n'y attacher aucun prix et réprouve la renonciation au
statut musulman, dont s'accompagne l'acquisition de la qualité de
citoyen français.
On n'a pas encore assez réfléchi à la signification profonde de
cette attitude. On ne se rend pas compte que nos sujets musulmans
discutent comme un dogme contestable ce qui est pour nous un
postulat : la précellence de notre civilisation occidentale. "
Que Dieu habite la tente de Sem ; que Dieu donne l'étendue à
Japhet ", dit la Genèse. S'il est vrai qu'il n'y a de
puissance qu'en Dieu, notre supériorité sur les fils de Sem ne
peut être que passagère.
Tant que nous dominerons ainsi, sans convaincre, il y aura un
contre-sens politique évident à vouloir associer à notre
entreprise ceux qui ne partagent pas notre idéal.
Plus encore, d'ailleurs, que notre idéal de justice, c'est la
coupure de l'âge sédentaire qui nous sépare des indigènes; c'est
l'ordre social.
Le nôtre est tout entier dominé par la production, c'est-à-dire,
le travail régulier qui arrache à la terre la subsistance et
permet d'accumuler des réserves pour parer à l'insuffisance des
récoltes; d'où la nécessité de s'arrêter, de se fixer, qui
amène les habitudes sédentaires; le besoin clé sécurité qui
entraîne la formation des villes; la vie urbaine dont le
développement aboutit à la civilisation qui en est l'expression
spirituelle. Or, un tiers à peine de la population algérienne peut
être considéré comme
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définitivement fixé; le reste vit à l'état plus ou moins nomade,
c'est-à-dire, compte plus ou moins sur la nature pour lui fournir sa
subsistance sans l'effort continu d'un ,travail de production. Le passage de
ces nomades à la vie sédentaire ne sera pas le résultat d'un libre choix -
car le travail régulier est si pénible et si peu naturel à l'homme qu'à
proprement parler il ne s'y est jamais habitué - mais de la nécessité; il
sera, sans doute, l'effet de l'accroissement de la population. Encore faut-il
remarquer qu'il est de vastes étendues où la vie ne se prête qu'au
nomadisme. Il y aura donc pendant longtemps, en Algérie, des populations
molles et indolentes, fidèles aux traditions de l'âge pastoral et sur
lesquelles nos idées demeureront sans prise.
Dans ce milieu, la stabilité des relations et des situations acquises
apparaît comme un but plus urgent et primordial pour notre entreprise de
civilisation que la réalisation de notre idéal de justice. Il faut qu'on
comprenne, en France, que l'égalité distribuée aux indigènes sous une
forme massive est un leurre et peut être un danger; qu'un pouvoir
généralisé de suffrage ne serait qu'une façade derrière laquelle se
perpétueraient les traditions de pouvoir personnel et les organisations de
clan et de clientèle; qu'il y aurait lieu, au contraire, de distinguer, à
cet égard. entre nomades et sédentaires, entre citadins et ruraux et de
tenir compte, à l'intérieur de ces grandes catégories, du degré
d'évolution des individus et des groupes.
Rien n'empêcherait, d'ailleurs, d'incorporer, progressivement, à l'ordre de
choses établi, des réformes qui seraient autant de transitions permettant
aux impatients, eux-mêmes, d'attendre des modifications plus profondes du
régime. Car la goutte de justice que distille la conquête de chaque
privilège a, pour les premiers bénéficiaires, une valeur infinie.
Il faut songer, enfin, qu'il peut exister d'autres types d'ordre organique que
le nôtre. Une idée comme la religion musulmane, qui a développé des
courants sociaux continus et créé des institutions durables, est une force
positive et, par conséquent, un fait dont on aurait tort d'escompter la
disparition. Qui sait les réserves virtuelles et la puissance latente d'un
Islam, déjà fécondé peut-être par la pensée française ?
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