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CHAPITRE PREMIER

Le fait primordial est l'état quasi-inorganique dans lequel nous avons trouvé l'Algérie.


Ce qu'on appelait la Régence d'Alger et qui fut, au XVlème siècle, une puissance maritime justement redoutée, avait, peu à peu, dégénéré, au cours du XVIIIème siècle et n'était plus guère qu'une façade au début du XIXème.
A ce moment, aucune dynastie ne s'est établie dans le pays; aucune famille n'a réussi à acquérir un prestige et une autorité suffisants pour polariser les aspirations confuses de. la masse à un équilibre politique et social, conforme à l'idéal musulman. Le « beylik » ou « oud jak » n'est ni l'état théocratique dont nous trouverons le type en Tunisie, en 1881, et au Maroc en 1912; ni une monarchie féodale; ni la principauté de Machiavel ; encore moins un état moderne aux multiples services. Plutôt qu'un gouvernement, c'est une occupation militaire, une tyrannie exercée par la communauté turbulente des janissaires et des corsaires -- c'est-à-dire, quelques milliers d'individus, étrangers, d'ailleurs, au pays - sur une faible partie du territoire : banlieue d'Alger et abords immédiats de quelques ports et villes fortifiées de l'intérieur. Partout ailleurs l'obéissance aux Turcs, obtenue par la contrainte, est étrangère à tout sentiment de loyalisme, passagère et réduite au minimum du versement de l'impôt. Dans les plaines la population est nomade ou semi-nomade et clairsemée sur d'immenses étendues. Elle est quelquefois très dense, au contraire, dans les montagnes comme la Kabylie et l'Aurès. Là, les autochtones, refoulés par les invasions et astreints, pour assurer leur subsistance, au travail régulier et continu de la culture des terres, se sont, depuis une époque perdue dans une nuit sans histoire, groupés en communautés villageoises. Mais la vie municipale n'est qu'embryonnaire; elle n'a pas dépassé cette période sombre de l'humanité où la civilisation sédentaire enfante des générations d'hommes durs et cruels, avides de richesses, avares de leur fortune, incapables, encore, de réaliser un ordre social dominé par des

      

conceptions d'intérêt général. Si l'on met à part une douzaine d'agglomérations méritant seules le nom de villes, la véritable unité politique est la tribu nomade ou le clan sédentaire, c'est-à-dire, une parenté élargie qui réunit les familles patriarcales, cellules sociales et économiques. Pas de confédération permanente entre tribus et clans, pas de chef commun désigné à l'avance; mais, en cas de péril général imminent, une convention d'union temporaire et un généralissime improvisé. Finalement, pas de pouvoir organisé, pas de nation algérienne représentant une unité spirituelle fondée sur des affinités mentales et des habitudes communes; tout au plus, une communauté larvaire, résultant de la cohabitation d'un même milieu physique et tellurique et dé la similitude de race, de langue et de religion.
Cet état politique et social est, en quelque manière, le prolongement de l'ordre naturel des choses. L'Algérie, en effet, ne se distingue du reste de la Berbérie par aucune particularité géographique. Mal séparée du Maroc, et n'ayant pas, à proprement parler, de frontières à l'Est et au Sud, elle n'est pas préparée par la nature à devenir une unité politique. Son histoire est celle d'une zone indéterminée s'étendant entre les royaumes de Tunis et de Fez, subissant leur influence sans jamais accepter leur domination, les épuisant par des luttes incessantes et refluant sur eux avec toutes les forces de désordre, d'anarchie et de barbarie, aux périodes de leur déclin.
Un pays rude, une population belliqueuse, fière de n'avoir jamais été domptée et prête à tout pour garder son indépendance; une société sans armature ni cadres susceptibles d'être adaptés à notre conception française de l'ordre et de la justice, sans possibilités propres d'organi­sation; voilà, en résumé, ce que nous avons trouvé en Algérie, en 1830.
Nous ne l'avons compris que lentement, après un long travail d'exploration et un difficile apprentissage de la langue et des mœurs. L'Afrique du Nord, malgré sa proximité de l'Europe, était encore, au début du XIXème siècle, une contrée mystérieuse, isolée, impénétrable, une sorte de Chine méditerranéenne.
Ainsi se justifient les hésitations et les incertitudes que nous avons marquées au début de l'occupation, les timides et malheureux essais d'organisation d'états vassaux ou protégés, que nous avons tentés avant de trouver la ligne d'une politique adéquate à la situation dans la formule conquête et administration militaire.

 
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