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Lancée sur cette voie, cette architecture s'empare de tous les détails de
la mosquée. Jusque-là, le minaret n'avait eu pour but que de permettre au
muezzin de faire entendre au loin l'appel à la prière; il devient un des
membres essentiels du monument. Sur la tour du minaret primitif, une autre tour
plus mince se superpose ; puis sur celle-ci une autre encore plus mince, et sur cette autre,
une autre plus mince encore, couronnée d'une plate-forme, vers
laquelle le mouvement ascendant, commencé sous la voûte de la
tombe, semble aller se résoudre en un élan irrésistible vers le
ciel. C'est à l'instant où cette évolution s'achève que
s'élève la mosquée du sultan Hassan. Cette fois encore,
l'architecte était un Copte qui, détail curieux, a apposé par
rébus sa signature au portail du temple : un porche d'église
copte, une croix et une colombe tenant la branche d'olivier. Une
légende, recueillie par certains auteurs, prétend que, la mosquée
terminée, le sultan Hassan lui aurait fait couper la main "
afin qu'il ne pût en dessiner une semblable "; une autre, au
contraire, qu'il le combla de faveurs : en tout cas, toutes deux
sont d'accord pour attester de l'admiration que souleva son oeuvre.
Reste à savoir de quelle manière cette admiration lui fut
témoignée. Je n'entreprendrai pas de le chercher.
" L'Islam, dit Mahrîsi, n'a aucun temple qui puisse être
comparé à la mosquée du sultan Hassan tant par sa grandeur que
par la beauté de son architecture. Elle a coûté trois années de
travail, et la dépense de chaque jour allait à 1,000 dynars
(15,000 francs) (ce qui porte la dépense totale à plus de 16
millions de francs). Les bois employés au cintrage des voûtes
coûtaient à eux seuls 3,000 dynars (45,000 francs). "
Cette appréciation du grand historien n'est pas outrée, et la
mosquée du sultan Hassan est bien réellement l'un des plus beaux
monuments de l'art arabe, tant par l'ampleur de ses proportions que
par le fini de ses sculptures, l'éclat de ses marbres, la souplesse
de ses arabesques, la douceur de ses peintures, la pureté de ses
mosaïques et l'élégance de ses inscriptions.
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Vue du dehors, l'énormité de sa masse produit une impression
profonde : l'ogive en encorbellement de son immense portail, toute
ruisselante de stalactites, est magnifique; sa façade est partagée
en travées rachetées dont la parallélité exagère la
hauteur. Toute entière elle se dresse sur ses perpendiculaires, dans
un sursaut superbe, dominée par ses minarets hauts de 80 mètres,
qui, grâce à cette disposition, semblent prendre racine
directement au sol.
A l'intérieur, cette impression devient encore plus vive. Un vestibule
règne derrière le portail, dont la coupole en stalactites est pénétrée par
trois grandes niches en stalactites aussi. L'architecte a-t-il été entraîné
par ses affinités coptes? A-t-il voulu simplement rendre les aspirations de son
temps? Toujours est-il que, le vestibule franchi, l'ordonnance adoptée par lui
dans son édifice est celle d'une église chrétienne, et que son plan, pour
habilement conçu qu'il soit, n'en a pas moins pour base la croix.
Comme El-Azhar, Gama-es-sultan-Hassan mesure sur son axe longitudinal 150
mètres. Au milieu (fig. 32) est une cour carrée de 33 mètres de côté,
autour de laquelle rayonnent quatre vastes nefs couvertes d'un gigantesque
berceau ogival : celle de l'Est est le sanctuaire, les trois autres, les trois liwans.
La lumière tombe à flots dans chacune d'elles par la baie librement
ouverte; mais, tempérée par la profondeur, elle n'y répand qu'un jour amorti.
Tout d'ailleurs conspire à mettre en relief leurs proportions grandioses et à
exaspérer l'impression de mystère intense qui s'en dégage: l'entente du
décor, le jeu des ombres et le contraste ménagé entre le plein absolu des
murs de la cour et le vide des nefs (fig. 33), entre leur rectitude verticale et
la perspective fuyante de celles-ci, entre leur nudité et la richesse inouïe
du maksourah. Un simple cordon de merlons les frange (fig. 34); au sanctuaire le
décor touche à l'extrême atteint du faste et de la variété.
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