Partout et toujours, l'artiste ne
distingue la forme qu'à travers le voile de ses conceptions
cosmiques; humaine ou animale, elle ne lui inspire que des idées
philosophiques, nuancées, complexes, comme le réseau d'un
assemblage polygonal : il les figure à sa manière par des unions
bizarres, qui pour lui sont symboliques ; il poursuit à travers
elle une sensation; peu lui importent le squelette de l'animal, le
jeu de ses muscles ou le mécanisme de ses articulations. Pour
comprendre tout cela, il faudrait pouvoir une heure vivre sa pensée
; mais nous l'ignorons, et, jugeant de tout d'après nous, nous
inclinons à croire que l'Orient n'a pas senti. C'est pour avoir
trop médité au contraire, qu'il n'a pas abordé l'art plastique;
il a voulu aller plus loin que l'épiderme et les muscles qu'il
abrite : s'il eût pu faire la pensée visible à travers
l'enveloppe corporelle, distinguer à travers elle le trouble de
l'extase et des ravissements infinis, en un mot, animer son oeuvre
de la vie de l'âme, il s'y serait certainement appliqué. Mais son
délire religieux était trop contemplatif, et trop teinté de
rêve. En Occident, notre grand art du moyen âge est né de la
recherche de l'expression de l'épouvante; le mysticisme de l'Islam
était le calme de " la délectation morose " ; et l'Arabe
n'a même pas songé à s'y arrêter.
A ce point de vue, une boiserie de la collection de M. le Dr
Fouquet est particulièrement intéressante. Le sculpteur s'est
attaqué à un sujet dramatique entre tous : la légende de la
Goullah. Cette légende, nombre de poésies s'en sont emparées, qui
toutes trahissent de leur impuissance à en dire l'horreur. La
goullah, c'est la maîtresse morte qui s'échappe la nuit de la
tombe pour venir se désaltérer du sang de son ancien amant. Les
poètes n'ont trouvé que des phrases banales à aligner sur cette
donnée ; l'artiste n'a pas été plus heureux. En cherchant le
terrible, il n'a trouvé que le grotesque. La goullah (fig. 90) a la
face ronde, informe, la bouche immense,
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