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Nous ne voyons que l'extérieur des
choses, l'Arabe en voyait l'essence et se composait une sensation, alors que,
nous, nous l'analysons.
La preuve de tout cela est que, lorsqu'il aborde
l'interprétation de la forme humaine, il ne cherche point à en
reproduire les proportions et les rapports, ainsi que l'ont fait les
Grecs ou que le fait l'école moderne. Il choisit un certain nombre
de lignes qui, par leur groupement, répondent à un ordre d'idées
abstraites; l'image est invraisemblable, n'importe. Il fait de
l'homme une polygonie vivante; incapable de reproduire par le fini
de la facture les sentiments qui agitent un personnage, il choisit
l'assemblage de lignes le plus propre à les exprimer.
Non, l'art arabe n'est pas le caprice d'un géomètre, et c'est
bien à tort que certains n'ont vu dans ses productions que des
lignes. Pour eux, tout s'est résumé en fractions d'angles. Un
assemblage d'hexagones n'a répondu qu'à la nécessité de réunir
sur un point trois fractions égales à quatre tiers d'angle droit.
Une telle manière de voir ne prouve qu'une chose : ils n'ont jamais
épelé l'alphabet de la psychologie orientale; s'ils l'eussent
fait, ils se seraient vite rendu compte que derrière cette
symétrie il y a autre chose que des réseaux carrés ou trigones;
là où ils n'ont vu qu'une fraction d'angle, le cœur d'une race a
palpité.
Mais, par malheur, leur théorie, réputée incomparable par
d'autres qui n'avaient même pas vu le réseau carré ou trigone,
s'est propagée comme un oracle; et c'est ce qui rend si difficile
la tâche de celui qui veut pénétrer les sensations vraies de
l'Orient. Classé de ce fait comme caprice artistique, l'art arabe
est allé prendre rang parmi les arts méconnus, et l'on s'est
éloigné de lui sans même se demander quelles raisons l'ont
poussé dans la voie où, dès le début, il s'engage; pourquoi il
n'emploie jamais l'arc en plein cintre et la coupole, pourquoi il
repousse la forme humaine, pourquoi il adopte l'ogive,
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pourquoi il
se complaît aux combinaisons polygonales. Une prétendue défense
du Koran n'était-elle pas la raison qui l'avait forcé à rejeter
la forme humaine?... S'il avait adopté la voûte en stalactites, ne
pouvait-on voir dans cette fantaisie un souvenir de la pastèque?... Et la
polygonie n'était-elle pas le décalque des riches étoffes primitives de la
tente, alors que l'Arabe, errant et à demi sauvage, campait encore dans le
désert?...
Cet art, si singulièrement apprécié, a été cependant une des plus
fortes expressions de la pensée. Il n'est point l'art d'une religion ou d'un
peuple, mais celui d'une race. Il n'a point pour but la récréation d'un
groupe de dilettanti; il s'inspire des affinités les plus obscures et
les plus inachevées de l'âme; il est un art d'aspiration.
C'est pour cela qu'il est nuancé à l'infini, ondoyant comme la pensée.
L'Arabie n'avait point d'art, c'est donc l'art des peuples conquis qui revit
en elle. L'Islam est la source où chacun puise; mais chacun l'interprète à
sa manière; et de là, ces divergences qui font de l'art des khalifes, de
l'art de la Perse et de l'art mauresque trois branches distinctes de l'art
musulman. Dans cette division, l'art des khalifes occupe le premier rang et,
dans cet art, l'art de l'Égypte. Celle-ci avait été l'école de théologie
où s'étaient formées les anciennes religions. Plus que tout autre, sa
philosophie était pénétrée de l'idée de l'inéluctabilité des choses qui
est la base de la loi du Prophète; plus que tout autre, elle avait été
mystique, et plus que tout autre artiste aussi. Les premiers, les Coptes
avaient secoué le joug de l'art de Byzance; les premiers, ils étaient
retournés aux compositions ornementales et aux assemblages symétriques; les
premiers, ils avaient rejeté la forme humaine et l'avaient repétrie à
plaisir. Aussi ce sont eux qui deviennent les constructeurs attitrés des
khalifes de Damas, de Baghdad et d'Égypte; eux qui en sont les sculpteurs,
les bijoutiers, les verriers et les tisserands. "
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