Pages précédentes L'ART ARABE AL. GAYET LIVRE VI. - CONCLUSION. Pages suivantes
   Retour page Table des matières  
   
   L'art un instant se replie sur lui-même, et les éléments introduits par les Fatimites progressent insensiblement au milieu des invasions et des guerres civiles, mais sans rien créer qui sorte des thèmes connus.

Puis les sultans baharites et bordjites s'emparent du trône et, sous leur règne, l'art arrive à sa parfaite éclosion. La pierre remplace la brique, et cette réforme entraîne une dernière évolution de l'art arabe. L'emploi de la voûte se généralise et avec lui le type de la mosquée sépulcrale : le caractère d'élancement, qui a été la première aspiration de l'architecture en plate-bande, perce dans tous les détails du minaret et de la façade; tandis qu'à l'intérieur le calme du mystère arabe s'accuse encore par la prédominance des profondeurs. La polygonie gagne toutes les surfaces, et non content d'en recouvrir les murs et jusqu'au sol, l'artiste s'ingénie à faire de l'architectonie même de l'édifice un assemblage polygonal. J'ai nommé cette dernière période de l'art arabe la polygonie descriptive : telle en fut l'importance, qu'elle peut être considérée comme le caractère essentiel de tout l'art de l'Islam.

Les voûtes ne sont plus que des groupements de rosaces sphériques et de réseaux d'entrelacs constructifs suspendus dans l'espace comme un berceau découpé. Le jeu des ombres qui s'y jouent donne une extraordinaire puissance à leurs combinaisons et en exalte l'idéalisme; et, cette fois encore, ce sont les Coptes qui bâtissent le temple où s'incarnent ces caractères, celui qui restera le modèle que l'Orient copiera dans la suite, la mosquée du sultan Hassan.

A dater de ce jour, l'architecture de la mosquée est définitivement constituée. A la décadence de l'empire, une mélancolie gracile s'empare d'elle, mais elle ne change pas pour cela : la sveltesse de ses lignes se raffine, les pleins s'évident, le monument n'est plus qu'un filigrane immense, 

    

 

    une châsse gigantesque, ciselée, émaillée, dorée comme un colossal bijou. Mais l'efflorescence de ses arabesques s'étiole derrière les vitraux de ses verrières, comme en une serre où l'air ne pénètrerait jamais. A la mort de Toman-Baï, le khalifat disparaît pour toujours et l'art arabe avec lui.

Au résumé, l'art arabe a été avant tout un art spiritualiste, et le grand trait qui le domine est de s'être soustrait à l'influence hellénique.

La cause en est que l'Islam, dix ans après son apparition, a soumis un empire. Placé dans les mêmes conditions, le christianisme se fût sans nul doute engagé dans une voie semblable. Il eût, lui aussi, adopté une formule expressive et repoussé avec le même dédain superbe la formule grecque, au lieu de s'y enliser dix siècles durant. Non, l'art arabe n'est point régi et réglementé, ainsi qu'on l'a dit souvent, par l'étroitesse d'un précepte ou l'anathème d'une doctrine. Ce n'est point par obéissance qu'il a adopté telle ou telle manière; chacune d'elles a été l'image d'une pensée, et, s'il s'est arrêté à tel ou tel décor, ce n'est point parce que, condamné, - c'est le mot qu'on a coutume d'employer - à repousser toute représentation animée, il n'a su comment couvrir l'étendue des surfaces et y a jeté le premier ornement venu.

Ce décor réputé pour n'être qu'un assemblage de motifs peu intéressants, qui n'expriment rien et ne sont qu'un caprice d'esprits abandonnés à une rêverie sans but, c'est toute une philosophie qu'il proclame, un état d'âme qu'il trahit, fort différent du nôtre, mais tout aussi nuancé. Comment? J'ai essayé de le dire. Les moyens peuvent paraître subtils; ils le sont moins que l'esprit de ceux qui les ont employés. Aujourd'hui notre imagination va droit aux formes imitatives; d'autres s'imposent à elle par symbole, comme une équation d'algèbre sous laquelle elle retrouve un ordre d'idées donné. 

 
Pages précédentes   Retour page Table des matières   Pages suivantes