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L'art un instant se replie sur lui-même, et les éléments
introduits par les Fatimites progressent insensiblement au milieu
des invasions et des guerres civiles, mais sans rien créer qui
sorte des thèmes connus.
Puis les sultans baharites et bordjites s'emparent du trône et,
sous leur règne, l'art arrive à sa parfaite éclosion. La pierre
remplace la brique, et cette réforme entraîne une dernière
évolution de l'art arabe. L'emploi de la voûte se généralise et
avec lui le type de la mosquée sépulcrale : le caractère
d'élancement, qui a été la première aspiration de l'architecture
en plate-bande, perce dans tous les détails du minaret et de la
façade; tandis qu'à l'intérieur le calme du mystère arabe
s'accuse encore par la prédominance des profondeurs. La polygonie
gagne toutes les surfaces, et non content d'en recouvrir les murs et
jusqu'au sol, l'artiste s'ingénie à faire de l'architectonie même
de l'édifice un assemblage polygonal. J'ai nommé cette dernière
période de l'art arabe la polygonie descriptive : telle en fut
l'importance, qu'elle peut être considérée comme le caractère
essentiel de tout l'art de l'Islam.
Les voûtes ne sont plus que des groupements de rosaces
sphériques et de réseaux d'entrelacs constructifs suspendus dans
l'espace comme un berceau découpé. Le jeu des ombres qui s'y
jouent donne une extraordinaire puissance à leurs combinaisons et
en exalte l'idéalisme; et, cette fois encore, ce sont les Coptes
qui bâtissent le temple où s'incarnent ces caractères, celui qui
restera le modèle que l'Orient copiera dans la suite, la mosquée
du sultan Hassan.
A dater de ce jour, l'architecture de la mosquée est
définitivement constituée. A la décadence de l'empire, une
mélancolie gracile s'empare d'elle, mais elle ne change pas pour
cela : la sveltesse de ses lignes se raffine, les pleins s'évident,
le monument n'est plus qu'un filigrane immense,
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une châsse
gigantesque, ciselée, émaillée, dorée comme un colossal
bijou. Mais l'efflorescence de ses arabesques s'étiole
derrière les vitraux de ses verrières, comme en une serre où l'air ne
pénètrerait jamais. A la mort de Toman-Baï, le khalifat disparaît pour
toujours et l'art arabe avec lui.
Au résumé, l'art arabe a été avant tout un art spiritualiste, et le
grand trait qui le domine est de s'être soustrait à l'influence hellénique.
La cause en est que l'Islam, dix ans après son apparition, a soumis un
empire. Placé dans les mêmes conditions, le christianisme se fût sans nul
doute engagé dans une voie semblable. Il eût, lui aussi, adopté une formule
expressive et repoussé avec le même dédain superbe la formule grecque, au
lieu de s'y enliser dix siècles durant. Non, l'art arabe n'est point régi et
réglementé, ainsi qu'on l'a dit souvent, par l'étroitesse d'un précepte ou
l'anathème d'une doctrine. Ce n'est point par obéissance qu'il a adopté
telle ou telle manière; chacune d'elles a été l'image d'une pensée, et,
s'il s'est arrêté à tel ou tel décor, ce n'est point parce que, condamné,
- c'est le mot qu'on a coutume d'employer - à repousser toute représentation
animée, il n'a su comment couvrir l'étendue des surfaces et y a jeté le
premier ornement venu.
Ce décor réputé pour n'être qu'un assemblage de motifs peu
intéressants, qui n'expriment rien et ne sont qu'un caprice d'esprits
abandonnés à une rêverie sans but, c'est toute une philosophie qu'il
proclame, un état d'âme qu'il trahit, fort différent du nôtre, mais tout
aussi nuancé. Comment? J'ai essayé de le dire. Les moyens peuvent paraître
subtils; ils le sont moins que l'esprit de ceux qui les ont employés.
Aujourd'hui notre imagination va droit aux formes imitatives; d'autres
s'imposent à elle par symbole, comme une équation d'algèbre sous laquelle
elle retrouve un ordre d'idées donné.
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