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Partout ce gouvernement patriarcal de la djemaâ existait sous une
forme ou sous une autre. Cependant certaines populations, surtout
les montagnards et les sédentaires, formaient de petites
républiques fédératives, tandis que d'autres, en général les
populations nomades ou semi-nomades plus ou moins arabisées des
plaines, se groupaient sous la direction d'un chef ou d'une famille
de noblesse religieuse ou militaire. Dans ce cas, le pacte d'union,
au lieu d'attacher les familles entre elles, les attachait à une
famille suzeraine qui les gouvernait héréditairement. Les chefs
militaires étaient appelés djouad ou douaouda, les chefs religieux
étaient les marabouts et les cheurfas. La noblesse militaire
dominait surtout dans le beylik de Constantine, où certaines
familles exerçaient un véritable pouvoir souverain; les Turcs leur
donnaient une simple investiture par l'envoi d'un caftan en drap
d'or ou d'un burnous richement brodé.
Le seul lien entre ces populations si diverses, le seul levier
capable de les faire mouvoir, c'était la religion. Mais la religion
comme le reste aboutissait au morcellement. Les diverses
confréries religieuses groupaient chacune un certain nombre de
fidèles qui obéissaient au chef de l'ordre et à ses lieutenants
ou mokaddem. Ainsi, pour les indigènes, l'Islam, religion unitaire
par excellence, se résumait dans le culte des saints locaux, les
marabouts; et les marabouts comme les djouad étaient rivaux et
jaloux les uns des autres.
Quant à la situation économique des indigènes, elle était
extrêmement misérable, en raison de l'état de guerre perpétuel,
de l'insécurité chronique, de l'absence des voies de
communication. Nous n'avons que des renseignements bien vagues sur
le chiffre de la population de l'Algérie en 1830; elle ne comptait
probablement pas plus de 2 à 3 millions d'âmes. On produisait tout
juste ce qui était nécessaire aux besoins du groupe, famille ou
tribu. Il n'existait aucun système régulier d'échanges avec
l'extérieur; des prohibitions d'exportation frappaient les objets
les plus divers et n'étaient levées qu'en vertu de licences ou
d'autorisations spéciales. Aucun document officiel ne nous permet
d'évaluer l'importance du commerce extérieur de la Régence, qui
diminuait d'année en année; en 1822, d'après les évaluations
de Shaler, il ne dépassait pas 1 500 000 francs.
On peut dire sans exagération que l'Algérie n'existait pas
avant l'arrivée des Français; elle n'avait même pas de nom; on
disait : Alger, l'État d'Alger, la Régence barbaresque; le terme
même d'Algérie n'apparaît qu'après 1830. Non seulement nous
l'avons pacifiée, organisée, outillée, mise en valeur, mais nous
l'avons véritablement tirée du néant; nous lui avons donné son
nom et sa personnalité. Le centenaire de 1830 est le centenaire de
la naissance d'un pays et d'un peuple.
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