Il ne suffit pas, pour
connaître l'état de l'Algérie avant la conquête
française, d'indiquer les principaux rouages de
l'organisation turque, car cette organisation était en
réalité extérieure et étrangère à la vie profonde du
pays. Bien que les collectivités indigènes fussent,
théoriquement réparties entre les différents beyliks,
pratiquement elles échappaient pour la plupart à
l'administration et même à l'influence des Turcs, qui
avaient fort peu modifié leur structure intime.
On distinguait, on a toujours distingué les gens des villes
et les gens des tribus. La composition de la population
urbaine était partout à peu près la même qu'à Alger; on
trouvait dans les villes des Turcs, des Koulouglis, des
Maures ou hadar, des berranis ou étrangers, des nègres,
enfin des Israélites et quelques rares Européens, consuls,
commerçants ou renégats. En 1830, il y avait environ 12
000 Turcs répartis entre les résidences des beys et les
autres villes de garnison; les Koulouglis étaient au nombre
de 5 à 6 000. Les Maures, pour la plupart d'origine
andalouse, détenaient le commerce et exerçaient les divers
métiers. Les Berranis, campagnards établis dans les
villes, étaient groupés par pays d'origine sous la
surveillance d'un amin ; c'étaient surtout des Kabyles et
des Mozabites. Il est difficile d'évaluer le chiffre de la
population urbaine en 1830; il ne dépassait probablement
pas 100 000 âmes, dont 20 000 Israélites. Alger n'avait
plus que 33 000 habitants, Constantine 31 000, Tlemcen 9
000, Oran 7 000.
Les tribus étaient autant de petits États, de forces
très diverses et de constitutions très disparates. A la
base était la famille très fortement organisée, mettant
tout en commun, richesse et pauvreté, douleurs et joies,
ordonnée comme un régiment, disciplinée comme un
équipage. L'individu n'était qu'un grain de sable dans ce
bloc de granit et la liberté individuelle était inconnue.
Un assemblage de familles parentes entre elles formait le
clan, la karouba des Kabyles. Au-dessus du clan venait le
village (thaddert) chez les sédentaires, le douar chez les
nomades, au-dessus du village ou du douar, la tribu.
Les nécessités de la vie en commun, l'absence, depuis
l'antiquité romaine, de tout gouvernement digne de ce nom,
avaient créé chez les indigènes un organisme social
rudimentaire, la djemad. De même que la famille obéissait
à son chef naturel, l'ancêtre, le cheikh, l'assemblée des
cheikhs, des chefs de famille constituait la djemaâ, qui
régissait la petite communauté. |