Dans diverses régions dominaient de grands seigneurs comme le
Cheikh-el-Arab de la région de Biskra, le cheikh des Hanencha et
beaucoup d'autres. Les divisions de ces grands seigneurs entre eux
et avec les petites républiques fédératives de la montagne
suffisaient à assurer l'hégémonie des Turcs.
Tous les ans, à la fin du printemps, trois petites armées
sortaient d'Alger pour prêter main-forte aux beys en vue du
recouvrement de l'impôt : c'étaient les mehallas, dont les
campagnes duraient environ quatre mois; les tribus makhzen leur
apportaient leur concours et chaque caïd devait recouvrer à
l'avance la contribution due par le groupe qu'il commandait. Les
beys fermiers de l'impôt étaient responsables de sa rentrée et en
faisaient parvenir le produit au dey, sans que celui-ci s'occupât
des moyens employés pour le faire rentrer. Tous les trois ans, le
bey se rendait à Alger en personne, accompagné de ses tambours et
de sa musique, de ses sept drapeaux, pour y porter le denouch ou
tribut. Il distribuait des sacs de pièces d'or à tous les grands
officiers du divan et même aux employés de moindre importance,
suivant une hiérarchie savamment graduée. Lorsque cette
distribution était terminée, il restait peu de chose pour le dey.
Shaler, consul des États-Unis à Alger en 1826, nous a laissé
la description d'une cérémonie qui se célébrait à Alger au
printemps et qui est assez significative de la façon dont les Turcs
traitaient les indigènes. Le khasnadar (trésorier) se rendait à
cette occasion hors de la ville. Trois queues de cheval, insigne de
sa dignité, flottaient devant sa tente. L'agha, qui, pour la
circonstance, jouait le rôle d'un cheikh indigène, se présentait
devant lui dans l'attitude d'un suppliant et lui rendait hommage. On
lui intimait l'ordre impérieux, souligné d'un geste bref, de
fournir une centaine de moutons pour nourrir les troupes et d'en
égorger un sur-le-champ pour la table de Son Excellence. Il donnait
immédiatement satisfaction à cet ordre et on apportait aussi les
volailles, les neufs, le couscouss qui étaient requis. Le cheikh ne
protestait pas. On lui enjoignait alors d'apporter de l'argent pour
payer les troupes. Il se défendait, alléguait sa pauvreté,
rappelait les calamités qui l'empêchaient de fournir la somme
demandée par Son Excellence, quelle que fût sa bonne volonté. Le
khaznadar affectait alors la plus violente colère, il menaçait de
faire décapiter sur place le cheikh et finissait par le condamner
à la bastonnade. On faisait les préparatifs du supplice,
l'indigène offrait une transaction, mais sa proposition n'était
même pas écoutée; alors les anciens de la tribu venaient à son
secours, réunissaient le tribut exigé et le déposaient aux pieds
de Son Excellence. Celle-ci devenait subitement aimable, donnait sa
main à baiser au cheikh, disait être son meilleur ami, le faisait
asseoir à ses côtés, lui offrait de son café.
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