Le Conseil d'enquête sur les capitulations blâma les chefs qui
avaient accepté pour leurs officiers ces conditions contraires aux
règlements militaires ; il y avait néanmoins parmi ces derniers
des hommes de cœur et de courage, enveloppés dans un concours
funeste de circonstances. Le gouvernement chercha à les employer en
Algérie, pour rendre ainsi disponibles les officiers dont ils
prendraient la place. Mais cette mesure rencontra une vive
opposition. Il y eut des manifestations publiques ; les
fonctionnaires résistèrent aux injonctions du gouvernement; des
avanies de toutes sortes furent prodiguées aux officiers
capitulés, dont une partie seulement purent prendre possession de
leurs postes; à Constantine et à Philippeville, ils furent
définitivement repoussés.
Un des décrets du 24 octobre était venu mettre le comble aux
humiliations de l'armée, attaquée de tous côtés, en décidant
que les officiers dans le commandement desquels aurait éclaté une
insurrection seraient traduits devant un conseil de guerre. Ce
décret était destiné, d'après les termes mêmes de la lettre
d'envoi, à mettre fin à la politique antinationale des bureaux
arabes; il provoqua une épidémie de démissions. Le général
Lallemand, qui avait été nommé au commandement supérieur des
forces de terre et de mer et avait pris possession de ses fonctions
le 10 novembre, protesta énergiquement auprès de M. Crémieux.
Lui-même avait été officier de bureau arabe : " Chanzy,
Ducrot et Vinoy, écrivait-il, ont exercé ces fonctions et il y a
parmi les chefs actuels beaucoup de nobles cœurs qui battent à
l'unisson des leurs. " Le général Lallemand fit appel au
dévouement des officiers pour reprendre leur démission : "
Lorsqu'il sera possible, disait-il, de remplacer par une
administration civile l'administration militaire, nous nous
effacerons avec joie, nous nous retirerons avec la ferme conviction
d'avoir accompli une mission utile à la France. Mais, tant qu'il ne
sera pas possible d'organiser un autre rouage administratif, nous
devons rester sur la brèche, exposés aux reproches immérités et
à l'animadversion des gens ignorant le pays et les difficultés
qu'il présente. Se retirer en ce moment, ce serait commettre une
mauvaise action et compromettre la chose publique. "
Un autre décret du 24 décembre enlevait " immédiatement
" à l'administration militaire le territoire des tribus
contiguës aux territoires civils déjà existants mesure bien
anodine en apparence et qui fut plus tard réalisée sans
inconvénients. Cependant, de tous les décrets du gouvernement de
la défense nationale, c'est celui qui eut pour l'Algérie les
conséquences les plus funestes, parce qu'il supprimait en fait la
police judiciaire dans les trois quarts des territoires indigènes
de la province de Constantine, qui échappaient ainsi à toute
surveillance.
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