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De retour à l'hôtel, je trouvai
le consul d'Angleterre (un Génois), qui venait m'offrir, avec
une courtoisie extrême, de tout arranger pour notre voyage à
Tlemcen. Le commandant de place suivit de près, avec sa
calèche, que nous acceptâmes d'autant plus volontiers qu'on
ne trouve pas de voitures à louer dans la localité. Il nous
conduisit autour des forts bâtis par les Français, jusqu'au
faubourg de Kerguenta, appelé le village nègre, bien qu'en
réalité il serve de refuge à tous les indigènes chassés
de la ville par la civilisation française. Des Arabes
étaient assis à la porte de leurs gourbis (misérables
huttes de terre sans toitures), ou autour de leurs enclos,
fumant leurs chibouques, et enveloppés de la tête aux pieds
dans leurs longs haïks blancs : ils avaient un air sombre et
malheureux. Quelques chiens maigres et affamés rôdaient
autour de leurs maîtres, et des ânes qui n'avaient que la
peau et les os complétaient ce triste tableau. |
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Aussi nous respirâmes plus
librement lorsque le commandant, nous fit prendre le boulevard
Oudinot, situé au pied de la Kasbah (forteresse) et planté
de beaux arbres. Nous descendimes de voiture pour faire le
tour des fortifications du Château-Neuf par la belle
promenade de l'Étang. C'était quelque chose de délicieux
d'errer sous ses frais ombrages, de respirer le parfum des
fleurs des tropiques dont elle est remplie, et de jouir en
même temps d'un point de vue magnifique sur les environs. |
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En rentrant par la rue
Louis-Philippe, nous aperçûmes un petit minaret octogone,
orné de fines sculptures et formant l'angle d'un ancien mur
mauresque. Poussées par la curiosité, nous entrâmes dans
une cour en marbre, au milieu de laquelle une fontaine versait
son eau, indispensable pour les ablutions prescrites par la
loi de Mahomet ; tout autour s'élevaient des arcades
dentelées, à double rang de colonnes ; les murailles
étaient recouvertes d'" azuléjos " (sorte de
plaques de faïence émaillée), dont les vives couleurs
charmaient nos regards. Nous pénétrâmes jusque dans la
mosquée, qui est du même style. La chaire était placée
dans un enfoncement richement décoré, appelé " mihrab
" par les Arabes. Deux ou trois musulmans étaient en
prière dans un coin, et se prosternaient la face contre
terre. Lorsqu'ils nous virent entrer, ils proférèrent mainte
et mainte malédiction sur nous, d'après ce que nous dit
notre guide. Oran possède une autre mosquée célèbre, celle
de Sidi-el-Haouri, saint personnage auquel on attribue des
miracles extraordinaires, que le peuple croit avec une foi
aveugle : c'est du reste une partie de l'enseignement
religieux qu'on lui donne.
Voici une de ces légendes musulmanes :
Pendant la guerre des Espagnols contre les Maures une
pauvre femme vint un jour trouver Sidi-el-Haouri pour se
plaindre de ce que son fils avait été pris et emmené captif
en Andalousie. El-Haouri lui dit de prier Dieu avec confiance,
d'aller chercher un plat de viande avec du bouillon ; ce que
la pauvre mère fit avec empressement. El-Haouri avait une
levrette apprivoisée, qui allaitait ses petits ; il prit la
chienne sur ses genoux, lui parla et lui donna à manger ce
que la femme venait d'apporter. Aussitôt l'animal partit,
courut sur le port, et s'embarqua sur un vaisseau qui faisait
voile pour l'Espagne. La levrette ne fut pas plus tôt
débarquée qu'elle rencontra le jeune captif qui revenait du
marché, où il avait été acheter de la viande pour son
maître ; elle s'élança sur lui, lui arracha la viande des
mains, courut sur le rivage,
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