|
enfants avaient suivi les
religieuses en dépit des radicaux, et, grâce aux efforts
infatigables du pieux curé de la cathédrale, M. Martignon1,
on était parvenu à louer deux ou trois maisons arabes dans
divers quartiers de la ville, et les sœurs s'y rendaient
chaque jour pour instruire les enfants, entassées dans les
cours, dans les plus petits recoins, enfin jusque sur les
toits. Je ne pus m'empêcher de frémir en songeant à ce que
maîtresses et élèves deviendraient pendant les grandes
chaleurs ; mais j'espère bien qu'avant cette époque un
nouveau gouvernement les aura réintégrées dans leurs
écoles spacieuses et bien aérées.
La dernière mesure tyrannique dont les autorités
radicales se rendirent coupables pendant mon séjour fut la
fermeture de la pharmacie des sœurs, où chaque jour elles
distribuaient des médicaments et autres secours à des
centaines de pauvres de toutes les nationalités. Lorsque
cette proposition fut faite au conseil municipal, les soi-disant
chrétiens, j'ai honte de le dire, votèrent à l'unanimité
pour la suppression de cet établissement, et les mahométans
seuls parlèrent en sa faveur. Comme un des conseillers
prétendait que l'influence morale des sœurs de la pharmacie
sur le peuple était très mauvaise, Boukadoura, un des Arabes
les plus influents d'Alger, répondit avec à-propos :
" Mais, Monsieur, elles ne se mêlent que de médecine
! " Inutile d'ajouter que, selon leur coutume, les sœurs,
en retour des mauvais traitements, redoublent de charité
envers leurs persécuteurs. A Mustapha-Supérieur (où la sœur
Félicité est supérieure), elles ont aussi un immense
établissement, dont elles venaient justement d'être
chassées, lorsqu'un de leurs ennemis les plus acharnés fit
une chute de cheval devant leur porte ; elles le soignèrent
si admirablement bien, que, dès qu'il fut remis de son
accident, il ne perdit pas un instant pour les réintégrer
dans leurs écoles. Mais ceci n'est qu'une rare exception.
|
|
1. C'est le même M. Martignon qui, selon
toute probabilité, joua un si beau rôle dans le Miracle
de Lourdes du 16 septembre 1877. (Note du
traducteur.)
|
|
|
|
|
Je fus frappée un jour de
l'observation qui me fut faite par un Arabe d'un rang élevé,
qui me parlait avec indignation de la manière dont le clergé
et les ordres religieux sont traités par les autorités.
" Je ne vous comprends pas, vous , chrétiens!
s'écriait-il. Nous ne manquons pas de sujets de discorde et
de discussions parmi nous, sans doute : mais nous considérons
la religion comme une sphère à part et au-dessus de tout le
reste ; une chose, en un mot, trop sainte pour qu'on ose y
toucher, tandis que vous vous en prenez toujours en premier à
votre religion ! "
J'aurais bien pu lui répondre que c'est précisément une
preuve évidente de la vérité de notre foi que cet
acharnement de l'ennemi de tout bien, et cette haine
invétérée qu'il inspire constamment aux hommes contre le
christianisme ; mais je préférai garder le silence. C'est
vraiment curieux de voir, dans des pays et sous les
gouvernements les plus divers, que les persécutions contre
l'Église présentent partout le même caractère, et que
c'est toujours au nom de la liberté que les mesures les plus
arbitraires sont prises contre la religion. Mais revenons à
nos sœurs de charité.
Leur hôpital militaire est un établissement magnifique,
situé dans le palais et les jardins ; jadis occupés par le
dey d'Alger et son harem ; les salles, vastes et bien
aérées, sont tenues dans la perfection ; lorsqu'il fait
chaud, les convalescents ont la permission de fumer et de se
promener dans de grands corridors, ainsi que dans ces jardins
superbes.
Chaque jour des vaisseaux arrivaient avec des cargaisons de
blessés et de varioleux. Combien il devait être agréable à
ces malheureux soldats d'échanger les souffrances et les
privations endurées sur le théâtre de la guerre contre les
soins intelligents dont ils étaient l'objet dans ce bel
hôpital, et de se sentir renaître aux rayons bienfaisants du
soleil d'Afrique, après avoir été transis par le froid et
l'humidité sur les champs de bataille !
|
|
|