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arabes, leur air mélancolique,
leurs bras et leurs mains irréprochables. Mais ce qui les
défigure aux yeux des Européens, c'est assurément le
tatouage. Les signes distinctifs de leur tribu, soit une
croix, soit une feuille de palmier, sont ainsi gravés sur
leur front ou leur menton d'une manière ineffaçable. Les
femmes kabyles ont la peau brune, et, contrairement à l'usage
arabe, elles ont la figure découverte. Celles que nous vîmes
à Sharetan étaient surchargées de bijoux de fabrique
indigène, dont quelques-uns étaient fort beaux et
grossièrement incrustés de pierres précieuses et de corail
; leurs haïks étaient retenus par des agrafes d'argent d'une
forme originale et d'un travail remarquable, reliées par une
chaînette ; elles portaient deux on trois paires de boucles
d'oreilles les unes par-dessus les antres, et des colliers et
des bracelets à n'en plus finir. Leurs ustensiles de poterie,
d'une nuance particulière de brun, attirèrent notre
attention par leurs formes pittoresques et variées.
Nous étions invitées à dîner, ce jour-là, chez le
colonel Hersen (commandant de place). En arrivant, nous
trouvâmes madame au désespoir. Son mari, nous dit-elle,
avait tenu à venir au-devant de nous ; il n'était pas encore
de retour : elle craignait que les Kabyles ne lui eussent
dressé quelque embûche ; peut-être l'avaient-ils
assassiné? Nous ne pouvions que compatir aux angoisses de
notre hôtesse ; heureusement qu'elles furent dissipées une
heure après par l'arrivée du colonel en personne, qui
s'était tout bonnement égaré dans les montagnes. Nous nous
apitoyâmes de tout notre cœur sur cette pauvre petite
Parisienne, jeune, jolie, sémillante, qui, au lendemain de
son mariage, s'était trouvée transportée dans cette
forteresse éloignée, sans société et sans distraction
aucune ; ajoutez à cela que son mari s'absentait souvent des
journées entières pour son service, qui n'était pas sans
danger. Il n'y avait que deux autres dames au fort Napoléon,
et encore ne les voyait-elle pas ; sa femme de chambre, qui
périssait d'ennui, était partie et l'avait plantée là. Mme
Hersen nous disait encore qu'elle aimait beaucoup la musique,
mais que, vu la distance et les difficultés de cette route à
pic, elle n'avait pu faire venir un piano ; elle n'avait pas
d'enfants et pouvait à peine se procurer quelques livres
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impossible de concevoir une vie
plus désagréable et plus monotone. Quant à la nourriture,
le fort ne présentant que bien peu de ressources, on en
était réduit à toujours manger les mêmes plats. En fait de
domestiques, madame n'avait, que les ordonnances de son mari,
et encore les mieux stylés avaient dû suivre leurs
régiments à la guerre, de sorte que sa position était bien
la plus triste qu'on pût imaginer. |
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Le lendemain, nous fîmes une
excursion à Aït-l'Hassen, village kabyle situé à trois
lieues du fort Napoléon, au sommet d'une montagne, sur la
rive gauche de l'Oued Beni-Aïssi. Il est habité par la tribu
des Beni-Yenné, qui jouissent d'une grande renommée pour
leurs fabriques d'armes et de bijoux. Grâce à nos
excellentes montures, bien que la route fût mauvaise et très
escarpée, nous franchîmes la distance en quatre heures de
temps. Mary préféra aller à pied une bonne partie du
chemin. En traversant la rivière, un de nos mulets perdit
pied dans un endroit profond où le courant était très fort,
heureusement que son cavalier en fut quitte pour un bain. Nous
suivions des sentiers tortueux et presque inaccessibles,
tantôt gravissant une montagne, tantôt descendant pour
remonter encore. Nos bêtes se comportèrent admirablement et
ne firent pas un faux pas, bien qu'on eût dit qu'on
escaladait un mur perpendiculaire. Nous fîmes une halte pour
déjeuner dans un joli bosquet d'oliviers presque aux portes
d'Aït-l'Hassen, et nous découvrîmes que nous étions dans
un cimetière des Beni-Yenni : |
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