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les tombes étaient indiquées
simplement par quelques pierres gisant çà et là sur le
gazon. Nous étions à peine installées, que le cadi du
village vint nous prier instamment de venir chez lui, où nous
trouvâmes un festin splendide, préparé en notre honneur
dans une pièce carrée, blanchie à la chaux et garnie de
tapis. On nous servit d'énormes plats de l'universel "
couscous ", mélange d'agneau et de poulets cuits avec du
riz et recouverts de graisse, sorte de pilau, en un mot, ainsi
que de grandes cruches de lait caillé, breuvage favori des
Kabyles. Heureusement nous pûmes nous excuser en disant que
nous avions déjà mangé, et moi je leur annonçai que ma
religion me défendait l'usage de la viande pendant le carême
: cette dernière raison fut trouvée suffisante ; mais il
nous fallut néanmoins avaler quelques bouchées de ce
détestable couscous, pour ne pas froisser nos hôtes et pour
faire honneur à leur hospitalité. Le scheik nous présenta
ensuite à sa femme, accompagnée de sa sœur et de ses
cousines. Quelques-unes d'entre elles étaient belles, mais
horriblement fardées. Nous les priâmes en vain de nous
vendre quelques-uns des bijoux dont elles étaient couvertes ;
elles nous répondirent : " Si nous les vendions, nous
n'appartiendrions plus à nos maris. " Elles nous
montrèrent les broches rondes qu'elles reçoivent de leur
seigneur et maître, quand elles donnent le jour à un garçon
: il y en a de plates, ornées de corail et d'émail vert ;
les autres ont un cercle de pierres en cabochon.
Ces pauvres femmes sont véritablement achetées : le prix
ordinaire est de deux à trois cents francs, mais les jolies
coûtent beaucoup plus cher. Elles font tous les ouvrages
pénibles, portent l'eau et le bois, travaillent à la terre,
font moudre le grain, et tissent les étoffes dont elles font
leurs burnous et leurs haïks. C'est un vrai labeur que
d'aller puiser de l'eau au fond des ravins profonds et de
l'apporter jusqu'au sommet des montagnes qu'elles habitent :
aussi, quand l'eau arrive, est-elle déjà saumâtre. On les
marie à treize ou quatorze ans ; le travail excessif et les
mauvais traitements dont elles sont l'objet, en font de
vieilles femmes à trente ans. Nous eûmes le regret de ne
pouvoir trouver aucune fabrique de leur bijouterie bizarre et
caractéristique, car il paraît
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que tous ces articles se font à
domicile. Leurs boucles d'oreilles sont si massives, qu'elles
sont obligées de les soutenir par un cercle de métal ; les
agrafes de leurs haïks sont d'une forme et d'un dessin
charmants, mais personne ne voulait nous en céder, et quant
à celles que nous achetâmes ensuite à Alger, dans le fameux
magasin d'objets d'art et de curiosités de Dorez, bien que
ces bijoux soient très jolis et aient un certain cachet, ils
sont loin de valoir ceux que nous vîmes portés par les
paysannes de la Kabylie. Il ne nous fut pas possible non plus
de voir les femmes en train de fabriquer ces fameuses cruches
que nous avions trouvées si originales, que nous aurions
voulu les dessiner chacune séparément. |
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Pour revenir, nous primes un chemin
plus court : nous traversâmes une rivière appelée
Oued-Djema, et nous entrâmes dans un défilé charmant,
tapissé de bruyères blanches, d'orchis rares, de lavande, de
cistes blancs et lilas, de romarin et d'arbustes aromatiques ;
puis nous passâmes par un bois d'oliviers en montant pendant
une heure, et nous arrivâmes auprès d'une fontaine
pittoresque, ombragée de chênes-lièges, autour de laquelle
un essaim de jeunes filles employées à la cueillette des
olives étaient, occupées en ce moment à abreuver leurs
mules : l'une d'elles, âgée de quinze ans, avait le plus
beau visage que j'aie jamais vu ; cette enfant paraissait ne
pas ignorer qu'elle était belle, et ses compagnes avaient
l'air de la traiter avec une déférence marquée. Nous
suivîmes ensuite une belle route récemment construite par
les Français, et nous reprîmes au galop la direction du fort
Napoléon, tout en admirant le soleil couchant, qui illuminait
les cimes de la Djurjura de ces teintes magiques dont ceux-là
seuls qui ont été en Afrique peuvent se faire une idée.
Nous avions entamé une conversation avec notre petit
guide |
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