Nous nous réfugiâmes au restaurant
avec nos bagages, et nous y déjeunâmes tristement, trop
maussades pour retourner chez les amis dont nous venions de
prendre congé, et maudissant la mer plus que jamais de tout
notre cœur. Je me consolai en assistant à une réunion des
" mères chrétiennes " dans l'église des
jésuites, où un père très éloquent leur prêchait une
retraite. Vers le soir nous nous rembarquâmes par une mer
fort mauvaise, et cette fois nous pûmes lever l'ancre à
quatre heures du matin. Je fais grâce à mes lecteurs du
récit de nos souffrances dans cette prison flottante, et cela
pendant plusieurs jours. Tout le monde avait le mal de mer ;
et même quand la tempête s'apaisa, la houle ne fit
qu'augmenter notre malaise. Un vent contraire fut cause que
nous n'arrivâmes à Dellys que le dimanche, à onze heures du
matin.
Pendant que le Grand-Rouleur faisait un chargement,
je descendis en toute hâte pour aller à la messe. Les sœurs
de la Doctrine chrétienne ont un fort bel établissement dans
cette ville, et y sont aimées de tout le monde. Dellys est
une ville très animée, construite sur l'emplacement d'une
cité romaine. On cultive, dans les jardins suspendus et les
vignobles qui la dominent, une qualité de raisin blanc très
estimée en Algérie. Sur une éminence s'élève la belle
" koubba " de quelque musulman mort en odeur de
sainteté. On nous parla aussi des anciens réservoirs romains
comme d'une chose remarquable ; mais le temps nous manqua pour
aller les visiter.
Nous fîmes ensuite escale à Bougie, belle ville antique,
assise au bord du golfe du même nom et à l'ombre du mont
Gouraïa, qui s'élève à plus de 2,000 pieds au-dessus du
niveau de la mer. A l'est s'avance le cap Carbon, masse
énorme de rochers rougeâtres, dont l'un, semblable à un
pain de sucre gigantesque, que l'on dirait détaché du
promontoire et creusé par les vagues, forme une voûte
naturelle, sous laquelle les pécheurs abritent leurs
embarcations. La tradition rapporte que ce fut dans cette
caverne que le célèbre Raymond Lulle se cacha lorsqu'il vint
en Afrique au treizième siècle, pour travailler à la
conversion des mahométans1. Il avait eu du
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