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Nous nous réfugiâmes au restaurant avec nos bagages, et nous y déjeunâmes tristement, trop maussades pour retourner chez les amis dont nous venions de prendre congé, et maudissant la mer plus que jamais de tout notre cœur. Je me consolai en assistant à une réunion des " mères chrétiennes " dans l'église des jésuites, où un père très éloquent leur prêchait une retraite. Vers le soir nous nous rembarquâmes par une mer fort mauvaise, et cette fois nous pûmes lever l'ancre à quatre heures du matin. Je fais grâce à mes lecteurs du récit de nos souffrances dans cette prison flottante, et cela pendant plusieurs jours. Tout le monde avait le mal de mer ; et même quand la tempête s'apaisa, la houle ne fit qu'augmenter notre malaise. Un vent contraire fut cause que nous n'arrivâmes à Dellys que le dimanche, à onze heures du matin.

Pendant que le Grand-Rouleur faisait un chargement, je descendis en toute hâte pour aller à la messe. Les sœurs de la Doctrine chrétienne ont un fort bel établissement dans cette ville, et y sont aimées de tout le monde. Dellys est une ville très animée, construite sur l'emplacement d'une cité romaine. On cultive, dans les jardins suspendus et les vignobles qui la dominent, une qualité de raisin blanc très estimée en Algérie. Sur une éminence s'élève la belle " koubba " de quelque musulman mort en odeur de sainteté. On nous parla aussi des anciens réservoirs romains comme d'une chose remarquable ; mais le temps nous manqua pour aller les visiter.

Nous fîmes ensuite escale à Bougie, belle ville antique, assise au bord du golfe du même nom et à l'ombre du mont Gouraïa, qui s'élève à plus de 2,000 pieds au-dessus du niveau de la mer. A l'est s'avance le cap Carbon, masse énorme de rochers rougeâtres, dont l'un, semblable à un pain de sucre gigantesque, que l'on dirait détaché du promontoire et creusé par les vagues, forme une voûte naturelle, sous laquelle les pécheurs abritent leurs embarcations. La tradition rapporte que ce fut dans cette caverne que le célèbre Raymond Lulle se cacha lorsqu'il vint en Afrique au treizième siècle, pour travailler à la conversion des mahométans1. Il avait eu du

    

 

   
succès à Bône et le long de la côte : son air vénérable et son ardeur lui avaient valu le respect des habitants ; mais lorsqu'il
 
Ancien village abandonné.
 

1. Raymond Lulle est peut-être la figure la plus extraordinaire qu'ait produite le treizième siècle. II naquit à Palma, en 1235, d'une famille noble, et fut élevé à la cour de Jacques 1er d'Aragon, où il se signala par les désordres de sa vie. Après un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, il se convertit, quitta sa femme et ses enfants après avoir pourvu à leurs besoins, et prit l'habit de Saint-François. Dés lors il s'adonna avec ardeur à l'étude de la théologie et de la philosophie, et consacra sa vie à travailler à la conversion des musulmans. Il fut martyrisé en 1315. Son corps fut enseveli dans la cathédrale de Palma, où ses compatriotes le vénèrent comme un saint. (Note du traducteur.)

 
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