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Nous liâmes conversation avec le
derviche qui nous avait servi de guide, et qui était aussi
maître d'école. Il nous conduisit au " medvesa "
ou collège de son village, qui communique avec la mosquée
par un cloître, dans lequel donnent toutes les cellules des
élèves ; mais l'établisse ment est aujourd'hui désert et
mal tenu, et il ne reste que quelques sculptures sur les murs
pour rappeler la grandeur passée de cette institution. Les
garçons seuls reçoivent de l'instruction. " Les filles
n'en ont pas besoin elles n'ont pas d'âme ; elles meurent
comme des chiens. " Telle fut la réponse du derviche à
la question que je lui posai sur l'éducation des femmes.
Elles sont pourtant assez belles pour mériter un meilleur
sort.
Pour rentrer à la ville, nous traversâmes une seconde
fois le cimetière arabe, rempli de " koubbas " ou
tom beaux de forme sphérique, dont les petits dômes sont
ombragés par d'énormes oliviers, et nous allâmes visiter la
mosquée d'El-Haloui, qu'on pourrait appeler le patron de
Tlemcen, et dont voici l'histoire.
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El-Haloui naquit à Séville1,
où il devint cadi (juge) ; puis tout d'un coup il quitta sa
patrie, sa fortune et ses honneurs, pour aller faire un
pèlerinage à Tlemcen. Là il ouvrit une petite boutique de
confiseur, et se mit à distribuer des bonbons et des
sucreries (appelés halaouat) aux enfants, qui lui donnèrent
le sobriquet de " Haloui ". Lorsqu'il les eut
attirés autour de lui par ses friandises et ses
bouffonneries, il changea subitement de ton et commença à
les exhorter, ainsi que la foule qui grossissait rapidement,
et cela avec tant d'éloquence, que toute la ville se
convertit. |
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1. Séville fut la capitale d'un des plus
beaux royaumes fondés en Espagne par les Maures. Ferdinand le
Saint le leur reprit en 1248, deux siècles avant que
Ferdinand le Catholique fit la conquête de celui de Grenade.
(Note du traducteur.) |
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Le bruit des miracles qu'il
opérait, parvint jusqu'aux oreilles du sultan, qui le nomma
gouverneur de ses fils ; mais cette nomination fit ombrage au
grand visir. El-Haloui fut accusé, jugé et condamné, comme
sorcier, à avoir la tête tranchée hors de la ville. Le soir
même de cette exécution, qui avait soulevé l'indignation
publique au plus haut degré, au moment où le " boubouab
" (portier de la ville) avertissait selon l'usage les
retardataires qu'ils eussent à rentrer avant qu'on fermât
les portes, il entendit une voix sépulcrale lui crier :
" Ferme tes portes, boubouab ! il n'y a plus personne
dehors, sauf El-Haloui l'opprimé! " Pendant sept jours
la même voix se fit entendre, répétant les mêmes paroles,
et déjà le peuple commençait à murmurer ouvertement. |
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Le sultan, ayant appris ces
choses, vint lui même un soir à la porte de la ville, et
s'en retourna en s'écriant : " J'ai voulu entendre, j'ai
entendu. " Le lendemain matin, le grand visir fut mis à
mort au même endroit où El-Haloui avait été exécuté. Il
fut enterré vivant dans un tas de mortier; et, pour apaiser
le saint, on construisit sur son tombeau la belle mosquée qui
porte encore aujourd'hui son nom. Elle contient de fort belles
colonnes d'albâtre oriental ; son minaret, revêtu d' "
azulejos ", est très remarquable. Une cigogne avait
bâti son nid sur le faite, et couvait tranquillement ses
oeufs, |
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