Nous nous croisâmes sur la route
avec d'interminables files de chameaux, la bête de somme
universelle de cette région, et que l'on traite mieux que les
pauvres ânes et les mulets, précisément parce qu'elle est
bien plus utile. Les tunisiens ont un usage bizarre, celui de
teindre la queue et trois des jambes de leurs chevaux
d'attelage : (lorsqu'ils sont blancs) d'un jaune orange vif,
que l'on tire du " henné ". Cela produit un effet
des plus singuliers. Lorsque je demandai pourquoi l'on ne
teignait pas les quatre jambes de l'animal, on me répondit
que cela porterait malheur 1.
Comme c'était le samedi saint, on
fit de fortes décharges d'artillerie lorsque les cloches
sonnèrent au Gloria in excelsis ; et cela si près de
l'église, qu'on eût pu facilement croire qu'on allait la
bombarder. La piété des catholiques de ce pays est féconde
et démonstrative, comme chez tous les peuples méridionaux.
Le jour de Pâques, après l'office,
j'allai rendre visite au père gardien des capucins, vieillard
vénérable, d'une extrême bienveillance, qui me présenta à
l'évêque. Ce bon religieux, qui était Français, me montra
une Histoire manuscrite qu'il avait composée, et qui
contenait toute l'histoire de la mission de son ordre en
Tunisie depuis sa fondation par le patriarche saint François
d'Assise, en 1219. A partir de cette époque, les fils de
Saint-François se sont toujours maintenus dans ce pays sans
interruption ; ils ont ouvert des écoles et construit des
églises dans toutes les villes de la Régence, et le
fanatisme musulman seul met obstacle aux conversions au
catholicisme, qui autrement seraient très nombreuses.
Peu de temps avant mon arrivée, un
jeune Maure s'était fait naturaliser sujet piémontais, et
avait reçu le baptême secrètement, ainsi que sa
fiancée.
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