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de sorte que les pauvres petites filles étaient là bien à l'étroit dans une maisonnette malsaine, au lieu d'être dans les belles classes qui avaient été bâties à leur intention par le gouvernement impérial. Il en avait été de même pour les écoles des frères de la Doctrine chrétienne ; et, à la grande rage des autorités, les garçons se pressaient en foule dans les maisons particulières des frères, d'où on les expulsa à plusieurs reprises mais en vain : les garçons s'obstinaient à suivre les frères partout, et, grâce à leur persistance, ils finirent par remporter la victoire.

Parmi nos lettres de recommandation, il s'en trouvait une pour M. de Siegnette, chef du bureau arabe, interprète militaire français, homme distingué et intelligent, qui avait de longs états de services. Il voulut bien nous accompagner à cheval jusqu'aux cascades d'El-Ourit, à environ deux lieues de la ville. On y arrive par un chemin. qui serpente dans une vallée riante, remplie de vergers, de bosquets d'orangers, de cerisiers et de lauriers-roses, fermée par une magnifique chaîne de montagnes, qui forme, à l'endroit des cascades, une enceinte inaccessible, sauf aux pieds agiles des chèvres. Ces chutes d'eau me rappelèrent beaucoup celles de Terni, en Italie. A El-Ourit, l'eau se précipite par ricochets sur une paroi de rochers rougeâtres, et se trouve parfois cachée par la riche végétation dont elle est revêtue. A l'époque où je vis cette cascade, la tendre verdure printanière entrevue çà et là à travers l'arc-en-ciel formé par les rayons du soleil tombant sur la nappe d'eau donnait à cette scène un aspect vaporeux et féerique, qui ne sortira jamais de ma mémoire. Nous avions quitté nos montures pour mieux contempler ce spectacle, et nous grimpâmes jusque dans des cavernes qui s'ouvrent sur le flanc de la montagne, afin de cueillir des fougères ravissantes, tandis que de jeunes chevriers, à un signe de M. de Siegnette, nous apportaient d'énormes bouquets de violettes doubles. Il nous apprit que, pendant la saison des cerises, toute la population de Tlemcen dresse des tentes dans cette délicieuse vallée et s'y installe jusqu'à ce que la récolte soit terminée.

    

 

   
M. de Siegnette avait amené avec lui un spahi attaché à son service, dont le costume pittoresque et le manteau écarlate faisaient notre admiration. A propos de ce corps, notre aimable compagnon de route nous donna mille détails curieux. Il paraît que, de même que les cipayes indiens, les spahis ont des moyens occultes de communication, qu'ils appellent " le chemin de fer souterrain ", et qui les mettent, avec une rapidité incroyable, au courant de tout ce qui se passe. Ainsi, la semaine précédente, il y avait eu une tentative de révolte de spahis à Souk-Harras, sur la frontière de Tunis ; les officiers de Tlemcen venaient seulement d'en entendre parler, lors qu'ils découvrirent que leurs spahis avaient eu connaissance de ce projet et de sa non-réussite, tandis que les autorités européennes étaient dans l'ignorance complète de cette affaire. Ceci rend naturellement les officiers français très méfiants ; ils savent bien qu'ils ne peuvent compter sur la fidélité de leurs soldats : car, du moment que ces derniers pourraient avoir des chances de leur côté, ils ne manqueraient pas de se soulever contre leurs chefs.

Le temps nous manqua, à notre vif regret, pour aller visiter les grottes remarquables qui se trouvent au delà de la foret de palmiers, et dont nous avions acheté de curieuses photographies : nous nous contentâmes de voir eu passant quelques " koubbas " voûtées et en fer à cheval, ainsi que le Mechouar, ancien palais des émirs, dont il ne reste aujourd'hui que des pans de murailles, un portail et une mosquée admirable. Les Français y ont commis de grands dégâts : ils ont converti les portions les plus intéressantes de l'édifice en casernes et en hospices. M. de Siegnette nous conduisit ensuite au musée, où M. C. Brosselard a réuni toutes les antiquités qu'il a pu sauver du vandalisme des soldats. Mais les objets les plus curieux ont été transportés à Alger, à l'exception de deux belles colonnes d'albâtre du Mechouar, et de plusieurs tablettes portant des inscriptions romaines. Les maisons particulières, avec leurs " patios ", leurs colonnades et leurs arcades mauresques, sont extrêmement jolies ; l'une d'elles surtout attira mes regards par son magnifique escalier et sa belle 

 
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