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de l'Algérie la colonie la plus productive du monde entier, si seulement elles étaient habilement exploitées.

Nous allâmes ensuite nous promener au joli jardin de Marengo, en passant par le fort des Vingt-Quatre-Heures, où le martyr Geronimo fut enterré tout vif dans un tas de mortier. A l'extrémité d'une belle avenue se trouvent le cimetière arabe et la mosquée d'Abd-er-Rhaman-el-Tcalbi, resté en si grande odeur de sainteté, que tous les pachas et hauts fonctionnaires mahométans ambitionnent l'honneur d'être ensevelis près de son tombeau, magnifique ment décoré. Le minaret de cette mosquée est bien le plus gracieux de tous ceux d'Alger ; le portique sculpté est ombragé de beaux palmiers ; les portails et le " mihrab " ont des sculptures d'une finesse extraordinaire, et le pavé émaillé est couvert de dessins variés des plus vives cou leurs. Un certain bey de Constantine, nommé Ahmed, est enterré ici ; il était aussi cruel que perfide, et, bien qu'on montre aux étrangers une chaîne du poids de plusieurs quintaux qu'il fit enlever, dit-on, de la jambe d'un mal heureux captif, on nous fit voir aussi sa " bâtonnade ", grosse corde avec quatre ou cinq coups de laquelle on tuerait facilement un homme, et qui est terminée par un énorme bourrelet teint de sang.

Comme c'était un vendredi, nous rencontrâmes des femmes vêtues de blanc qui se glissaient comme des spectres d'une tombe à une autre, pour les joncher de myrte et de jonquilles, et y déposer leurs offrandes de bouillon, de pain et de vin. A en juger par leur air de recueillement, les prières de ces pauvres musulmanes étaient sincères ; l'une d'elles, en particulier, me fit mal à voir, car c'était une mère qui pleurait un fils unique enlevé à la fleur de l'âge ; elle avait recouvert sa couche funèbre de fleurs odorantes.

Nous montâmes non sans fatigue jusqu'à la Kasbah (forteresse), pour y voir une ancienne mosquée d'une simplicité tout à fait primitive, qui n'a pour tout ornement que quelques belles colonnes 

    

 

   
de marbre ; puis nous redescendîmes par des rues étroites et malpropres, dont les contre forts en saillie projetaient leurs ombres sur des murs d'une blancheur éblouissante, et nous arrivâmes bientôt devant le palais du dey, ce dernier dey dont le célèbre coup d'éventail lui coûta son trône et donna Alger à la France. La petite mosquée qui faisait face au palais, a été convertie en chapelle et en école catholiques. A l'entrée se trouve une grosse chaîne qui jouit, comme qui dirait, de la propriété du droit d'asile, car tout criminel qui s'y attache est désormais à l'abri des poursuites de la justice.
Quittant la Kasbah, qui sert aujourd'hui de caserne, nous enfilâmes des rues pittoresques, dont les maisons avaient des voûtes sculptées et des portes garnies de clous dans le genre de celles de Tolède. Nous nous arrêtâmes chez Mme Barroil, qui est à la tête d'un ouvroir de cent vingt filles arabes. Ces enfants travaillent parfaitement : elles font de la lingerie fine pour trousseaux, layettes, etc. Nous allâmes aussi voir l'école arabe dirigée par Mme Luce, où une foule de jeunes femmes et d'enfants sont occupées à broder divers articles. Dans ces deux établissements on ne donne aucune instruction religieuse ; on cherche simple ment à moraliser les personnes qui les fréquentent et à leur fournir les moyens de gagner honnêtement leur vie. Je commandai deux robes de bal chez Mme Luce, et je fus émerveillée de la promptitude et de la perfection avec les quelles elles furent confectionnées. Ces jeunes ouvrières brodent également des mouchoirs et des écharpes, et leur travail a ceci de remarquable : c'est qu'il n'a pas d'envers, de sorte qu'on peut porter les articles brodés, qui sont d'une finesse exquise, aussi bien d'un côté que de l'autre.

Avec quel bonheur n'allâmes-nous pas ensuite fouiller dans de vieux magasins et dans les bazars, achetant ici des ustensiles kabyles, là des écharpes de gaze lamées d'or, plus loin des images du pied de Mahomet, etc., etc. ! Pour couronner le tout, nous entrâmes dans un café maure pour nous reposer sur des divans recouverts de nattes et boire du café à la turque.... L'illusion était si complète, que nous nous imaginions être encore en Syrie.

 
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