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un torrent impétueux traverse le vallon, et de charmantes villas mauresques se cachent coquettement derrière des massifs d'aloès et de palmiers.

Nous étions naturellement désireuses, pendant notre séjour en Algérie, de connaître autant que possible les mœurs et les usages propres à ses différentes nationalités :

Chemin de la grotte de la Sorcière.
rien d'ailleurs ne contribue aussi puissamment à donner un intérêt piquant au pays que l'on visite. Nous prîmes donc, un mercredi, de grand matin, la route de Saint-Eugène pour nous rendre à une grotte située au bord de la mer, et où se pratique depuis un temps immémorial ce qu'on appelle " le sacrifice des négresses ". Des femmes et des enfants y accouraient en foule à pied et à dos de mulet ; des domestiques suivaient, portant sous leurs bras une quantité de poules blanches et noires. A l'endroit indiqué par notre cocher, nous descendîmes de voiture pour gravir un escalier très raide taillé dans le roc, qui conduisait à la plage par un sentier tournant brusquement à droite, derrière une falaise en saillie, et laissait apercevoir une caverne demi-circulaire, auprès de laquelle jaillit la source de Seba-Aïoun ou des " Sept-Fontaines ".

Au milieu de cet antre était assise une vieille négresse, laide

    

 

   
comme le diable, enveloppée d'un manteau rouge et coiffée d'un turban blanc ; elle avait tracé un cercle sur le sable, droit devant elle, au centre duquel se voyait un fourneau primitif, sur lequel mijotaient de petits pots de terre remplis d'encens et de benjoin. Bientôt une dame arabe se présenta en pleurant amèrement, et disant que son mari ne l'aimait plus et qu'il s'était épris d'une autre femme ; elle prit des mains de sa suivante deux poules blanches et deux noires, les donna à la sorcière, qui l'encensa ainsi que les volatiles, puis les saisit par les pattes, les bran dit trois fois autour du corps et de la tête de la dame, et se mit alors à leur couper le cou lentement et partiellement.
Avec le sang, qu'elle recueillit dans un bassin de métal, elle oignit les pieds, les mains, le front et les yeux de sa cliente, tout en récitant des prières ou plutôt des incantations magiques, pendant que l'épouse délaissée joignait ses mains et les levait en signe de soumission. Quant aux pauvres poules, elles n'étaient qu'à moitié mortes, et c'était à la façon dont elles agonisaient qu'on voyait si le sortilège avait réussi : agitaient-elles leurs ailes tremblotantes du côté de la mer, c'était bon signe, et, les négresses poussaient leur cri perçant de " Li, li ! " d'un air triomphant ; si, au contraire, les malheureux oiseaux se débattaient du côté du rocher, le charme était rompu et l'affaire était à recommencer. La dame arabe dut ensuite boire de l'eau de la source des Sept-Fontaines et s'y laver par trois fois ; puis elle fut encore encensée par la sorcière avant de se retirer. Les mêmes cérémonies se répétèrent pour chaque personne qui venait consulter la sorcière et son chaudron magique. Le sable était couvert de sang et d'oiseaux mourants, spectacle qui nous soulevait le cœur. D'autres négresses, vêtues de haïks à carreaux bleus, à l'aspect le plus repoussant, servaient d'acolytes aux " guezzanates " ou sorcières principales, et en étaient dignes à tous les points de vue.

Ces sacrifices, qui datent du temps des Romains, ne sont autre chose qu'un reste des superstitions païennes. Ce qui m'affecta douloureusement, ce fut de voir non seulement des Juives, mais des chrétiennes recourir à ces rites et à ces maléfices horribles pour obtenir des guérisons. Je demandai à une femme que j'avais 

 
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