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vue le matin même à la cathédrale comment sa conscience lui permettait de faire usage de pareils moyens. Elle me répondit, à ma grande surprise : " Je crois aux guérisons effectuées par ces négresses ; et, si elles tiennent leur puissance d'une mauvaise source, dans tous les cas, il en résulte du bien. Dieu est au ciel, et nous sur la terre. Il peut bénir tous les moyens que nous employons. "

Cette femme avait amené son petit garçon, qui avait la fièvre. Pour le guérir, les sorcières le barbouillèrent de sang, ce qui le fit pleurer amèrement. Je me détournai avec dégoût de cette scène païenne et barbare, en me demandant avec un profond étonnement comment une mère chrétienne pouvait ainsi risquer le sort de son enfant.

Ce jour-là se trouvait être le premier de la grande fête arabe du Baïram1, à l'occasion de laquelle chaque famille un peu aisée tue un agneau ou une brebis. Dans la soirée il y eut un soulèvement des Arabes contre les Juifs, qui faillit avoir des suites déplorables. Voici ce qui y donna lieu. Le gouvernement français avait commis l'imprudence de nommer un Juif juge d'un tribunal arabe et d'enrôler des Israélites dans un régiment de francs tireurs : or les Arabes ont les Juifs en exécration et les méprisent souverainement ; et le fait d'être jugés par eux et de leur voir des armes entre les mains (chose qu'on a toujours refusée aux Arabes), c'était non seulement mettre le comble à l'injure aux yeux de tous les musulmans, c'était aussi une maladresse doublée d'une imprudence de la part des autorités. Les mauvais traitements subis par le jeune Arabe condamné par le juge israélite attisèrent le feu vers cinq heures, les Arabes se réunirent vers la Grande-place, armés de longs bâtons, et se mirent à détruire toutes les boutiques juives qu'ils rencontrèrent sur leur passage. Le premier président, M. Piexey, magistrat très aimé et apprécié des Arabes à cause de 
 

1. Fête solennelle des musulmans, qui suit le jeûne ou carême du Ramadan et qui dure trois jours. (Note du traducteur.)

    

 

   
sa bonté et de son impartialité, s'efforça d'apaiser le tumulte.

Malheureusement, il fut atteint par une pierre lancée au hasard, et la force armée dut intervenir. On opéra plusieurs arrestations ; mais les Arabes parvinrent à leur but : car le gouvernement effrayé licencia le régiment israélite, le juge impopulaire fut changé, et la tranquillité fut enfin rétablie.

 
Chef arabe.
 

Quelques jours après cet événement, nous assistâmes à une représentation religieuse donnée par une secte musulmane en l'honneur d'un pieux marabout qui, s'étant égaré dans le désert, obtint de Dieu la puissance de changer les scorpions, les serpents et les feuilles de cactus en une saine nourriture, et, par ce moyen conserva non seulement sa vie, mais aussi celle de ses disciples. On voulut bien nous avertir que certaines parties du spectacle nous feraient dresser les cheveux sur la tête ; mais nous étions parfaitement décidées à tout voir, et nous partîmes avec des amis à neuf heures du soir pour la fête de l'Aïssaoua, qui avait lieu près de la Kasbah.
A mesure que nous approchions par des rues sombres et étroites, 

 
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