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IV

La Lutte contre Abd el Kader

 

Provisoire dans l'esprit d'Abd el Kader, le traité de la Tafna devait l'être dans les faits. En dehors même de toute contestation sur le texte du traité, notre extension dans la province de Constantine devait tôt ou tard amener la reprise des hostilités. Et, avec un adversaire de la valeur et de l'énergie d'Abd el Kader, elles ne pouvaient se terminer que par un succès décisif ou une défaite complète.
Abd el Kader en eut le premier le sentiment très net. Il agit vigoureusement. Le commandement français le laissa faire.

Dès le mois de juillet 1837, Abd el Kader, après avoir châtié une fraction des Angad révoltée, prit possession de Tlemcen avec une grande solennité. Le mois suivant, il opéra contre les populations nomades du Sud et soumit les gens du Djebel-Amour à qui il imposa une lourde contribution de guerre. Il se fit reconnaître des Oulad-Chaïb, des Oulad-Mokhtar. Préparant son extension vers l'est, et l'amorçant, il soumit des tribus jusqu'aux Biban. Puis il se tourna contre les Zouatna de l'Oued Zeitoun en Kabylie; après un combat meurtrier, il massacra leurs chefs et les contraignit à la soumission (janvier 1838).

Les limites de la Tafna étaient largement dépassées. Le général Bernelle, envoyé par le maréchal Valée au camp -du Fondouk avec une brigade, demanda dans une lettre énergique des explications à Abd el Kader. Il fut désavoué par Valée et remplacé par le général Rullière. Mais la lettre avait produit son effet : Abd el Kader se retourna contre le Sud.

II commença par établir son autorité à Biskra (mai 1838), puis il entreprit des opérations contre Laghouat et Aïn Mahdi, où Sidi Tedjini, chef de la puissante confrérie des Tidjanyia, ne paraissait pas disposé à le reconnaître. L'émir installa un khalifa à Laghouat, puis mit le siège devant Aïn Mahdi : après six mois d'efforts, de juin à décembre 1838, il dut se contenter d'une capitulation laissant Tedjini en liberté. Quoiqu'il n'eût pu prendre la ville, il tira de cette expédition un renforcement de puissance le « Sultan de Touggourt », les Larbaa, les Oulad Khélif, les Oulad Naïls, lui envoyèrent des présents ou des délégués

      

Au milieu de 1839, Abd el Kader fit un voyage en Kabylie, mais il n'obtint chez les montagnards qu'un succès incomplet. Cependant son autorité était établie en principe sur les deux tiers de l'Algérie. Les Français étaient confinés dans Oran, dans Alger, dans une partie du beylik de Constantine, sans avoir, aux termes du traité de la Tafna, le droit de communiquer par terre entre leurs possessions.

Abd el Kader, alors âgé de 32 ans, de taille moyenne mais vigoureux, était dans toute la force de son merveilleux tempérament. Dur à lui-même, sobre, d'une résistance extrême, il mangeait peu, était vêtu simplement, et se distinguait surtout par sa piété, qui, tout en étant un de ses moyens de gouvernement, était restée sincère. Lancé dans une redoutable aventure, au bout de laquelle il entrevoyait la liberté des musulmans algériens, il employa souvent des moyens énergiques, dictés par une politique faite de justice et de sévérité. Sa cruauté même, qu'on lui a reprochée, n'est pas foncièrement établie, et en tous cas, s'il fut parfois impitoyable, ce fut seulement à cause de l'idée qu'il se faisait de sa mission.

Pour remplir celle-ci, il s'efforça d'établir une administration régulière. Il étendit à ses domaines agrandis l'organisation qu'il avait instaurée dans la province d'Oran après le traité Desmichels. Il les divisa en huit khalifaliks (Tlemcen, Mascara, Miliana, Médéa, le Hamza, la Medjana, le Sahara occidental, le Sahara oriental). Son trésor était alimenté par deux impôts principaux : la zecca, sur les troupeaux, perçue au printemps; l'achour, sur les moissons, perçue à l'automne. Il fonda une organisation de la justice, de la police, de l'instruction publique (écoles et bibliothèques), des finances (monnaies).

Les circonstances l'obligèrent à donner des soins particuliers à l'organisation militaire. Il eut une armée régulière de 8.000 fantassins, 2.000 cavaliers, 240 artilleurs (servant 20 pièces d'artillerie de campagne), répartie entre les khalifaliks et complétée par les guerriers des tribus. Les règlements, les décorations, l'avancement, la discipline, la comptabilité, le service de santé, étaient à la mode européenne; il avait eu des collaborateurs européens.

Il avait adopté un dispositif stratégique fondé sur les conditions géographiques. Vers la côte, d'abord, des tribus en avant-garde: les Gharaba devant Oran, les Hadjoutes devant Alger, les Kabyles ralliés devant Bône. Dans le Tell, une ligne de places : Tlemcen, Mascara, Miliana, Médéa; un chaînon manquait, Constantine, mais l'Émir espérait bien

 
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