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ces cris que le plus vigoureux bâton n'arrive pas à calmer... Âne
charmant, toujours déçu, toujours frappé, toujours meurtri, et
pourtant si résigné, si gracieux dans son martyre! Si j'étais
riche Marocain, je voudrais avoir un âne, mais un âne pour ne rien
faire, un âne qui n'irait pas au marché, un âne qui ne tournerait
pas la noria, un âne qui ne connaîtrait pas la lourdeur des
couffins chargés de bois, de chaux, de légumes ou de moellons; un
âne que j'abandonnerais à son caprice, à ses plaisirs, sultan la
nuit d'une belle écurie, sultan le jour d'un beau pré vert; un
âne enfin pour réparer en lui tout le malheur qui pèse sur les
baudets d'Islam et pour qu'on puisse dire: " Il y a quelque
part, au Maroc, un âne qui n'est pas malheureux... (1) "
IV. - Les Cigognes
Voici deux jolies pages sur ces oiseaux que l'indigène entoure
de respect, mais un respect qui n'est pas dépourvu de malice comme
on le verra par le récit de Fromentin
" Je croyais qu'il n'y en avait qu'en Alsace ! Et je les trouve
tout le long de cette côte marocaine, immobiles sur leurs longues
pattes, avec leurs plumes blanches et noires, leur cou flexible et
leur bec de corail qui fait un bruit de castagnettes... Je ne sais
comment aucune image, aucun hasard de lecture ne m'avait préparé
à les voir ici, ces cigognes. Et c'est pour moi un plaisir enfantin
de rencontrer ces grands oiseaux, que j'imaginais" seulement
sur les cheminées de chez nous. Avec le même air familier, la
même attitude pensive qu'au sommet d'un clocher de Mulhouse ,ou de
Colmar, elles se posent sur les murailles des vieilles petites
cités mahgrabines, Fédhala, Bouznika, Skrirat, Témara, qui
s'échelonnent sur les grèves de Casablanca à Rabat. De ces
vieilles petites cités, on n'aperçoit rien d'autre que leurs
enceintes rouges, dont la ligne flamboyante n'est interrompue çà
et là que par d'énormes tours carrées, une porte, un éboulis ou
la verdure d'un figuier. Mais de la vie enfermée dans ces remparts
couleur de feu on ne voit, on n'entend rien. Seuls, les graves
oiseaux blancs et noirs animent ces kasbahs mystérieuses, posées
là sur
(1) J.-J. THARAUD. - Rabat ou les heures
marocaines. Paris. Pion, in-12, p. 14, 125 et 126.
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le sable comme les gravures de quelque ancien traité de
fortification. Debout sur les créneaux en pointe, le bec tourné
vers la mer ou vers le bled désolé, on dirait les sentinelles
d'une vaste cité d'oiseaux; et l'indigène accroupi dans ses
loques, au seuil du grand trou d'ombre que fait la porte de la
ville, semble n'être que le gardien de ces nids fortifiés,
l'esclave de ces hôtes aériens. (1) "
" Une agréable nouvelle que je ne t'ai pas dite: les cigognes
sont arrivées. J'ai vu l'autre jour leur premier courrier. C'était
le matin de très bonne heure; beaucoup de gens dormaient encore
dans Blidah, Il venait du sud, porté par une légère brise,
s'appuyant sans presque les mouvoir, sur ses grandes ailes à
l'extrémité noire, le corps suspendu entre elles " comme
entre deux bannières ". Une troupe de pigeons ramiers, de
corneilles et de petits milans lui faisaient un joyeux cortège, et
saluaient sa bienvenue par des battements d'ailes et par des cris.
Des aigles volaient à distance, les yeux tournés vers le soleil
levant. Je vis la cigogne, suivie de son escorte, descendre de la
montagne et se diriger vers Bab-el-Sebt. Il y avait là des Arabes
qui sens doute avaient voyagé la nuit, car ils étaient couchés
pêle-mêle avec des dromadaires fatigués, toutes les charges
réunies au centre du bivouac, et les animaux n'ayant plus que leurs
bâts. Quand l'oiseau sacré passa sur leurs têtes, un des Arabes
qui le vit étendit le bras, et dit en se levant tout droit : "
Chouf et bel ardj, regarde, voici la cigogne. " Ils
l'aperçurent tous aussitôt, et, comme un voyageur qui revient, ils
la regardèrent en se répétant de l'un à l'autre : "
Chouft'ouchi ? l'as-tu vue ? " Longtemps l'oiseau parut
hésiter, tantôt rasant les murs, tantôt s'élevant à de grandes
hauteurs, les pieds allongés et tournant lentement la tête vers
tous les horizons du pays retrouvé. Un moment il eut l'air de
vouloir prendre terre; mais le vent qui l'avait amené rebroussa ses
ailes et l'emporta du côté du lac.
" Les cigognes émigrent à l'automne pour ne revenir qu'au
printemps. Elles se montrent . rarement dans la plaine, et
n'habitent jamais Alger. A Médéah, au contraire, et dans toutes
les villes de la montagne, elles se réunissent en grand nombre,
Constantine en est peuplée. Je connais peu de maisons dans cette
ville, la plus africaine et la moins
(1) J.-J. THARAUD. - Rabat ou les heures
marocaines. Paris, Plon, in-12, p. 1, 2 et 3.
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